jeudi 2 août 2007

" Les Messagers" d'Annette Messager

Passant devant l'illustre bateau-usine de Beaubourg, j'entrai pour renouveler (au prix de l'or! plus cher qu'au Louvre!) ma carte égarée. Une fois fait, j'allai parcourir l'exposition "Les Messagers" d'Annette Messager qui se termine le 17 septembre. Cette rétrospective m'a laissée dubitative, mais elle a l'avantage d'exister et de présenter ses principales productions depuis les années 70.


Le plan ci-dessus ( agrandir pour le lire correctement) représente l'espace des installations accompagné d'un code couleur qui résume mes réactions "primaires".

Rose = m'a vraiment plu. Les taches noires, que l'on apercevait par des fentes horizontales à différentes hauteurs dans un mur blanc, allaient et venaient en flottant suspendues à rien et m'ont rendue très légère. Casino, qui a déjà beaucoup fait parler de lui, et dont le dégorgement progressif, sonore, ondulant et perpétuel de la matrice sanglante de soie rouge éclairée de l'intérieur m'a fascinée un long moment.


Mauve = m'a plu. Les lignes de la main jouant du motif oriental sur un mur de fond tapissé de phrases répétitives manuscrites apparentées à l'art de l'éphémère, de la trace relative amenée à disparaître. Mes trophées rappelaient fortement l'art du tatouage dessin/texte sur des mains ouvertes et des parties du corps ( des images de "La femme tatouée" de Yoichi Takabayashi me brouillaient les yeux). Sentences et proverbes m'ont laissée mi-figue mi-raisin mais m'ont finalement fait rire et réfléchir au temps passé à broder "le soir à la chandelle " toutes ses paroles dérisoires du pouvoir. Exposer le machisme sans en parler pour le désamorcer.


Vert = m'a assez ou moyennement plu. Articulés-Désarticulés était présenté dans un vaste entrepôt plein de cadavres de peluches animales dans lequel je suis restée longtemps hébétée à regarder un vache (folle?) traînée continuellement sur le périmètre de ce qui pouvait peut-être représenter une zone de contagion, un espace de quarantaine. J'ai ressenti un flottement et je ne sais pas si j'ai aimé cela. Je ne crois pas. Mes caoutchoucs formes noires et découpées dans une matière souple proche de la peau rappelaient à la fois le théâtre d'ombres de Bali et les masques vénitiens. Histoires de robes, avec une note griffonnée sur leur histoire (origine, destination, fin), étaient enfermées dans des vitrines-cercueils tristement accrochées à un mur. Le Tapeur, sorte de pantin à ressort suspendu, allait taper méthodiquement sur la paroie de verre externe du bâtiment ( donc visible du dehors) comme s'il voulait éperdument s'échapper (recherche de la sortie?). La ballade des pendus, assemblage de marionnettes, de doudous, de robots, le tout plus ou moins désarticulé voire carrément en morceaux, tournait inlassablement sur un rail ovale suspendu au plafond haut. Ne manquait plus que les paroles de Villon dont j'ai regretté l'absence:


" Frères humains qui après nous vivez


N'ayez les coeurs contre nous endurciz,


Car, ce pitié de nous pauvres avez,


Dieu en aura plus tost de vous merciz.


Vous nous voyez ci, attachés cinq, six


Quant de la chair, que trop avons nourrie,


Elle est piéca devorée et pourrie,


Et nous les os, devenons cendre et pouldre.


De nostre mal personne ne s'en rie:


Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!"


Orange = M'a passablement plu. Gonflés-Dégonflés dont j'attendais beaucoup, comme par exemple de beaux développements de volumes, n'arrêtaient malheureusement pas de retomber pesamment avec des bruits d'asthmatiques ou de soufflés affaissés. Dépendance-Indépendance ou la forêt initiatique des contes toute de fils de laine noire enchevêtrés et de lettres de tissu cousues ensemble à la verticale pour former toutes sortes de mots clefs (maux?) pendait lamentablement. Les piques, au bout desquelles des photographies encadrées de noir mettaient à l'index des portraits, des paysages, des événements divers, formaient un rempart.


Bleu = Ne m'a pas plu. L'attaque des crayons de couleur, Gants-Têtes et Jeu de Deuil m'ont apparu comme particulièrement agressifs et morbides.


Jaune = Ne m'a pas du tout plu voire m'a révulsée. En observation a provoqué en moi un brin d'ironie et je me suis dit que j'aurais pu contribuer à l'édification de l'art en apportant mon sac poubelle et en l'y déposant à cet endroit. Les visiteurs appelés à participer et devenus actants auraient rendu l'installation vraiment subversive en la modifiant sans arrêt par l'ajout circonstancié de leurs déchets quotidiens! Les pensionnaires poussiéreux et déplumés arrivaient à grand peine à (sup)porter leur petite laine tricotée maison. Ils affichaient de pauvres petits corps d'oiseaux suppliciés, figés dans une vague odeur de cadavre. Enfin c'est CE que j'ai senti.


Non coloré = Tout le reste, qui ne m'a pas forcément laissée indifférente. J'ai d'ailleurs pas mal insisté, en me cassant le cou, pour déchiffrer, par de minuscules ouvertures horizontales taillées dans les murs, les signes sibyllins se cachant dans La chambre secrète de la Collectionneuse pour former des messages codés. J'ai laissé tomber, car j'avais l'impression de regarder par le trou de la serrure sans obtenir satisfaction.


Prière de ne pas oublier le fils de Gepetto dans "La Ballade de Pinocchio" installée dans le grand hall d'entrée hors exposition pour semble-t-il résumer tout ce qui allait être vu et nous préparer à ces montagnes russes des réactions extrêmes entre vif intérêt et répulsion psycho-organique. Ce qui adoucit toutefois cet art singulier et parfois excessif c'est l'ensemble disparate des peluches dans lesquelles on bute à chaque coin de salle comme sur des douceurs en ligne, en tas, en ordre, en vrac, en noir , en blanc, en couleur...


Même le néophyte peut comprendre qu'Annette Messager se débat dans un drôle de monde peuplé de monstres qu'elle apprivoise un à un en bricolant, coupant, assemblant, collant, cousant, tricotant, brodant, articulant, désarticulant toutes sortes de supports qui "l'expriment" mais aussi en faisant intervenir la technologie avancée pour rendre plus visibles encore ses obsessions ou ses délivrances. Il n'y a pas vraiment combat entre tous ces procédés d'écriture artistique, mais plutôt une coopération continue. Si Annette Messager a commencé à oeuvrer dans les années 70 dans le domaine des travaux de dame et travaux d'aiguille, bricoleuse infatigable, elle a en quelques vingt ou trente ans évolué vers des installations plus complexes faisant appel au savoir faire de techniciens spécialisés pour porter plus avant son travail. L'expérience de l'atelier de couture (voile, traversins, parties de corps ou d'organes, marionnettes...) et celle de l'atelier de mécanique et d'informatique (mouvements, déplacements de sujets...) sont alors conjoints.


Malgré toutes mes réactions contradictoires, j'aime bien toutefois une partie du travail de cette artiste et je ne demeure pas sans voix devant le reste. Je ne me lancerai cependant pas dans une théorisation pédante. Pour en savoir plus évidemment, mieux vaut lire quelques interviews d'Annette Messager que vous trouverez facilement sur le web. Quel regard a-t-elle sur ce qu'elle fait?
Voici ce qu'elle dit: " Pour moi, l'art doit questionner et déranger. Il propose une interprétation du réel qui doit interpeller." L'objectif est-il atteint?

Photo de mhaleph

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Oui, il faut en prendre et en laisser. A part quelques installations potables, le reste c'est parfois du délire!