mardi 21 août 2007

Au sujet de Frida Kahlo (2)

"Frida : naturaleza vida" de Paul Leduc, 1983

"L'étreinte amoureuse de l'univers"

Photo de mhaleph


Le texte qui suit a été écrit il y a trois ans et me semblait devoir réapparaître au moment où le Mexique rend hommage à Frida Kahlo en cette année 2007.La vie de Frida n’est qu’une longue plaie. Sa vie n’est qu’une longue plainte déguisée aux couleurs du soleil. Elle nous bouleverse et nous invite à revisiter son œuvre flambante neuve de couleurs mais aussi de cruautés et d’intolérables douleurs qui, comme autant de tortures intimes, ont définitivement ouvert le partage collectif de sa souffrance par toile interposée.
La souffrance de Frida Kahlo est éclatante, pleine de dignité, éclaboussée de sang et d’histoire. Toute tristesse bue, toute colère contenue, toutes douleurs confondues le Mexique de Frida au goût de salpêtre et d’eau saumâtre, au goût d’indianité et de lait caillé est aussi un personnage central car le peintre n’oubliera jamais les seins amples et opulents de sa nourrice indienne, la Materia Prima qui l’a vue naître, aimer et souffrir, celle qui l’a nourrie et à laquelle elle veut se fondre et s’incorporer. A la fois femme et mère de Diego, c’est dans « L’étreinte amoureuse de l’univers » qu’elle traduit le mieux cette tendance à l’apparente confusion qui n’est pourtant que la plus grande justesse et la plus grande maîtrise de sa complexité identitaire.
Le film réalisé par Juliet Taymor pêche sans doute par excès d’esthétisme suranné et exotique banalisant la souffrance perpétuelle de Frida et exaltant de manière romantique les révolutions personnelles et politiques. Pourtant, malgré ce mirage de vie narrée comme un conte auréolé de lumière et de couleurs, ce film ne peut pas nous laisser indifférents et touche en nous ce qui peut encore s’émouvoir pour la vie et pour la lutte incessante contre le mal, l’exploitation, la routine, les conventions et les histoires d’amour bien cadrées.
"Diego et Frida ", dans un partenariat houleux et complexe accomplissent sous nos yeux la parabole de leurs vies, que JMG.Le Clézio dans un livre du même nom ( Folio n° 2746) analyse avec prudence, doigté et justesse pour nous faire entrer dans un univers des mythes et des réalités enchevêtrées, entremêlées, dont chacun pourra tirer un fil à sa convenance pour avoir « son » idée de la vie d’autrui dans un contexte donné et particulièrement circonstancié.
Mais, n’oublions pas que le premier film consacré à l’artiste intitulé « Frida : naturaleza vida » fut réalisé en 1983 par Paul Leduc avec une grande justesse dans le propos. Lui, n’a jamais perdu de vue que Frida souffrait en permanence et que c’est cette souffrance perpétuelle qui la poussait à peindre. Leduc évite avec bonheur les envolées esthétisantes et n’oublie pas de mettre en scène les actes quotidiens et excessifs des protagonistes ravagés de passion et de délire. Un film plus juste sans doute.
Il y a quelques années, lorsque j’ai découvert la peinture étrange de Frida Kahlo, et son journal de croquis, pastels et textes, personne ne s’y intéressait vraiment. Lorsque je l’évoquais, on me regardait le plus souvent avec étonnement et incrédulité comme si j’avais énoncé la plus belle des énormités.
La spontanéité de Salma Hayek aura eu l’avantage d’ouvrir le monde artistique de Frida Kahlo et de Diego Rivera sans que ce soit ressenti comme une provocation personnelle et/ou politique. L’Amérique, que Frida détestait tant, nous aura finalement rendu service en faisant de ce peintre d’exception un exemple de courage et d’endurance. Elle est ainsi devenue remarquable.

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