samedi 29 mars 2008

Les Mystères Parisiens

Les Mystères Parisiens


Pour une lecture de détente sans objectif que le divertissement, les Mystères Parisiens de Claude Izner (pseudonyme cachant deux soeurs bouquinistes) remplissent parfaitement cette fonction avec les sept volumes parus jusqu'à ce jour dans la collection Grands Détectives en 10/18. Le dernier en date, "Rendez-vous passage d'Enfer", se lit aussi vite et avec autant de plaisir que les précédents en attendant "La momie de la Butte aux Cailles" à paraître en 2009.
Outre l'énigme policière noeud du roman, l'intérêt vis à vis de ces livres réside : dans la part d'originalité des personnages avec le libraire-enquêteur Victor Legris et son père adoptif Kenji Mori un japonais très parisien, dans les procédés d'investigations spécifiques au XIXème siècle, dans les informations historiques et sociales concernant les divers arrondissements de Paris traversés dans chacun des volumes comme par exemple : le quartier des Saint-Pères, du Père Lachaise, du carrefour des Ecrasés, des Enfants Rouges dans le Marais, des Batignolles, de La Villette, du Passage d'Enfer et prochainement de la Buttes aux Cailles. Tout en suivant le fil conducteur d'un récit policier non dépourvu d'humour et de malice, les lecteurs s'instruisent plaisamment sur l'histoire petite et grande de la capitale.


Une bonne petite série à glisser dans ses bagages pour partir en vacances ou à lire en pointillés pendant les moments de détente.

lundi 24 mars 2008

Il court, il court...

Voici sans doute ce que m'inspire le quotidien au cours duquel beaucoup de gens courent sans arrêt plus ou moins à perdre haleine.
Mais à quoi bon courir, le temps reste figé et nous ne faisons que passer dans son espace. « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » Nous ne saurions trop bien dire pour tous les jours où nous nous levons aux aurores, chaque matin, des mois durant, comme de bons petits soldats de plomb qui font leur travail sans broncher.
Et bien demain pourtant, comme "le furet" de la comptine et comme beaucoup d'entre nous, je passerai "par ici" et repasserai "par là" sur le trajet quotidien me menant de la maison au travail et du travail à la maison.
Mais au fait, tant que j'y pense, j'ai encore deux ou trois choses à préparer ;-)

dimanche 23 mars 2008

La marche de Mina

Aussitôt acheté, aussitôt lu. "La marche de Mina" n'ira donc pas rejoindre la pile des livres en attente. Encore une fois, Yôko Ogawa part d'une situation simple pour en faire une histoire baroque. Une jeune veuve peu fortunée qui doit suivre une formation professionnelle complémentaire pour se perfectionner dans son domaine, celui de la couture, est obligée par manque de moyens de se séparer momentanément de sa fille pendant un an. C'est ainsi que Tomoko, la narratrice âgée de douze ans, prend le train en gare de Okayama le 15 mars 1972 pour se rendre à Ashiya dans la région de Kobe où sa tante confortablement mariée au directeur d'une usine d'eau minérale, le Fressy, l'attend. Dès son arrivée, Tomoko est submergée par la galerie de portraits qui se profile dans le hall d'entrée de la splendide maison de style hispanique qui l'accueille.
Grand-mère Rosa à demi impotente; l'oncle à demi-occidental dont elle a eu le loisir d'apprécier le charme et l'élégance au cours du trajet entre la gare et la maison; la tante, soeur de sa mère, très silencieuse et effacée; Mina grande lectrice, sa cousine asthmatique, souriante et posée; M.Kobayashi le jardinier dont le travail essentiel est de veiller au bien-être de Pochiko une hippopotame naine ramenée du Liberia par feu le grand-père et Mme Yoneda la gouvernante énergique de la maison et la seule amie de Rosa la juive allemande déracinée arrivée au Japon en 1916.
Les jours vont s'écouler sans heurts et la parente pauvre absorbée par cette famille bienveillante ne se sentira jamais en marge dans ce quotidien doré où tous développent des personnalités bien tranchées qui finissent toujours par s'affirmer au cours des différentes circonstances de la vie.
Tomoko observe avec discrétion le mimétisme et la quasi gémellité entre grand-mère Rosa, rongée par le souvenir de sa soeur jumelle et de sa famille mortes dans les camps nazis, et Mme Yoneda, l'efficace gouvernante dont l'univers exclusif de la maison retient toute l'attention. A leurs moments de détente, les deux vieilles dames, vivent le monde dans une forme de symbiose, dans une grande intimité et dans une complicité presque parfaite (mêmes attitudes, mêmes réactions face aux événements, mêmes accessoires comme un chapeau de paille, même langage mutant mélange d'allemand et de japonais qu'elles seules sont à même de comprendre, même sens des priorités, mêmes rêves de siestes partagées...).
Tomoko est aussi sous le charme de l'oncle et de son cousin Ryuishi étudiant en Suisse. Pleins de séduction, d'élégance, de souplesse, de beauté et d'un grand charisme, les deux hommes traversent l'univers de leur hôte comme des comètes éblouissantes.
Tomoko est aussi pleine de compassion silencieuse pour sa tante prise au piège d'une prison dorée dans laquelle elle s'étiole et s'anéantit dans l'alcool, la cigarette et la solitude. Cependant, loin d'être complètement inexistante, et malgré son grand silence permanent et son effacement perpétuel, elle est capable de nourrir une passion dévorante pour la découverte "des coquilles" dans tout support écrit et de s'animer en cette seule occasion : la traque de l'erreur orthographique. Une sorte d'obsession qui tourne en boucle et qui ne la laisse jamais en repos.
Tomoko ne manque pas non plus de découvrir le dévouement sans borne de M.Kobayashi, jardinier et homme à tout faire de la famille, qui peut aussi bien entretenir l'ancien parc zoologique Fressy, nourrir et nettoyer Pochiko, mener quotidiennement Mina à l'école à dos de Pochiko pour qu'elle ne se fatigue pas, accompagner les enfants en promenade, faire toutes les courses nécessaires, transporter Mina à l'hôpital en cas d'urgence lorsque son père volage est absent, parfois pendant des jours...
Tomoko est également très intriguée dès le début par l'étrange animal de compagnie de Mina, la facétieuse Pochiko, l'hippopotame libérienne naine, âme errante et candide du jardin qui participe à sa manière très personnelle à tous les actes de la vie quotidienne le jour, et qui se réserve la nuit pour vivre sa vie.
Enfin Tomoko est fascinée par la très sage Mina, cette fillette étrange aux boîtes d'allumettes plein les poches, qui lit
Kawabata, Tchékov, Mansfield, Kafka, la littérature Arthurienne et la vie des étoiles comme des contes de fées. Mina écrit des récits inspirés des illustrations collées sur les boîtes d'allumettes, qui peuplent son univers, dans les boîtes elles-mêmes. Des histoires, aux minuscules caractères, cachées dans les boîtes d'allumettes à l'intérieur desquelles elles sont écrites. Boîtes elles-mêmes cachées dans d'autres boîtes contenues elles aussi dans des boîtes plus grandes entassées sous son lit. Le lit de Mina, dont la santé fragile en fait l'objet de toutes les attentions et de tous les soins, est une véritable poudrière. Une étincelle, et tous les mots enfouis sont libérés.
C'est donc dans cet univers presque isolé du monde, sur les flancs des monts Rokko, que Tomoko est introduite par Mina l'asthmatique dans "la salle de bains de lumière" pour y passer de longues heures. Apaisées par la faible lumière orangée, bercées par le grincement ténu des rotatives à ampoules, l'écolière et la collégienne se livrent leurs secrets, lisent les histoires aux caractères minuscules contenues dans les boîtes d'allumettes, partagent un intimité qui n'appartient qu'à elles, reprennent des forces pour affronter leur vie émaillée de tous les incidents petits ou grands qui la fondent...
Aucun ténébreux mystère dans ce roman initiatique qui se laisse lire simplement, sans heurts et sans exaspération. Une petite symphonie sur l'interaction des mondes... dans laquelle "la pièce", peut-être la métaphore d'un lieu des origines, où se dénouent toutes les tensions revient à intervalles réguliers ainsi que l'attraction du "double" que l'on rencontre dans d'autres écrits de Yôko Ogawa.

samedi 22 mars 2008

Au cours d'une balade

Voici deux pancartes insolites qui m'ont interpellée et fait sourire cet après-midi au cours d'une balade dans les "villas" ou "allées", c'est à dire, "ruelles" de la Mouzaïa.
La première, "Chat lunatique", m'a immédiatement fait penser à mes deux fauves "orgueil de la maison" "au sourire vertical" qui mènent leur vie comme bon leur semble et dont le comportement reste généralement imprévisible.
La deuxième, "A vendre, miel de Paris", m'a bien entendu rappelé les abeilles de l'Opéra. Je ne sais si la pancarte était le vestige d'une activité ancienne ou si elle recouvrait une réalité présente, mais dans les deux cas et compte tenu des nombreux jardinets et de la proximité du Parc des Buttes Chaumont, il n'était pas impossible qu'on ait vendu ou qu'on vende encore du miel à cet endroit.
Ce quartier, très joli, surtout au printemps, en été et en automne, est essentiellement constitué de maisons à jardinets serrées en pente douce les unes contre les autres. Au XIXème siècle, les collines de Chaumont et de Belleville (autrefois Bellevue pour la vue panoramique que l'on avait sur tout Paris) étaient des carrières de gypse, dont une partie des blocs expédiée aux USA servit à construire La Maison Blanche à Washington et sûrement une partie des cast-iron buildings (ancêtres des premiers gratte-ciel à ossature d'acier) à New York. Toute cette partie du 19ème arrondissement s'appelait d'ailleurs "le quartier d'Amérique" et une "rue des carrières d'Amérique" témoin de cette époque existe toujours. Ce gypse a également servi à construire les immeubles haussmanniens des quartiers centraux de Paris.
Lorsque l'exploitation des carrières cessa, les collines furent transformées. Celle de Chaumont fut intégrée au Parc du même nom conçu sous les directives de Napoléon III. Celle de Belleville fut utilisée comme terrain à bâtir et vendue par lot à une population modeste à laquelle la commune permit la construction de maisons avec un rez-de-chaussée et un étage, pas plus, en raison de la fragilité du terrain. En effet ces collines évidées ne pouvaient supporter des bâtiments trop importants, trop lourds et trop élevés. Les jardins, dont chaque habitation est pourvue, étaient à l'origine des jardins potagers et fruitiers qui amélioraient l'ordinaire des familles et dans lesquels on élevait également des poulets et des lapins dans des poulaillers et des clapiers.
L'autosuffisance alimentaire en milieu urbain disparue a laissé place à des jardins d'agrément enserrant aujourd'hui des maisons rénovées, agrandies et embellies. Enclaves bucoliques regorgeant de verdures, de fleurs, de parfums et de chats, elles sont cependant fort chères. La campagne à Paris se vend à prix d'or!

dimanche 16 mars 2008

La petite pièce hexagonale

Encore une étrange histoire et un court récit de Yôko Ogawa dont le centre comme son nom l'indique est "La petite pièce hexagonale", une énigmatique petite pièce appelée "la petite pièce à raconter" ou "kataribago" dans laquelle il n'y a qu'un banc pour s'asseoir, qu'une lampe pour ne pas être plongé dans l'obscurité, que des murs lisses sans aspérité pour ne pas se blesser, que le silence nécessaire à la parole : la vraie. Celle qui permet de raconter "ce qu'on aime, ce qu'on déteste, ce qu'on cache au fond de son coeur ou ce qu'on arrive pas à cacher, ce qui nous embarrasse, nous réjouit, des histoires du passé ou de l'avenir, la vérité ou n'importe quoi, tout est possible. On dit ce qu'on a à dire à ce moment-là."
Comme la forêt incontournable dans laquelle on s'enfonce de plus en plus en oubliant ou sans plus ressentir la peur, le froid, la faim, la réalité des choses, "la petite pièce à raconter" est un lieu unique, étrange, initiatique où chacun ressent que "c'est la volonté d'effectuer soi-même la descente au fond de son coeur qui est importante."
Un lieu atemporel qui semblerait intervenir sur le cours de la vie, qui pourrait guérir de tous les maux. Un lieu éphémère et hypothétique du conditionnel. Une seule évidence demeure. "La petite pièce à raconter" fait du bien si elle est intelligemment utilisée, c'est à dire à bon escient et sans excès en suivant une forme d'intuition propre à chacun. Elle est itinérante pour profiter à tous et "ses gardiens bienveillants" - un couple mère-fils qui n'est pas sans rappeler le couple Freud père-fille, Sigmund-Anna, même si les personnages restent en marge de tout discours rattaché de près ou de loin à la psychanalyse - s'effacent sans laisser de trace.
Un très beau petit récit simple, sobre, enchanteur, plein de maîtrise. Un bel art du raccourci propre à Yôko Ogawa experte de la nouvelle.

samedi 15 mars 2008

Yôko Ogawa


"Dans l'univers de Yôko Ogawa le quotidien prend une dimension presque toujours fantastique", écrivais-je il y a à présent deux ou trois ans. C'est à ce moment-là que j'ai découvert par hasard les livres de Yôko Ogawa alors que je fouinais dans les rayons de littérature étrangère. Le coup de foudre fut immédiat pour "Tristes Revanches" soit un ensemble de onze nouvelles. Le lien entre ces onze nouvelles se fait de manière récurrente avec la transposition d'un élément (lieu, personnage, objet...) d'un récit à l'autre. Ce fils conducteur à peine visible permet une mise en abîme des onze histoires dans une structure en boucle où la référence au réfrigérateur cercueil ouvre et ferme le recueil. L'autre coup de foudre fut pour "Amours en marge" soit un roman sur l'écriture du silence qui fait lentement remonter la mémoire enfouie par touches infimes. Ce sont ces deux premiers ouvrages qui m'ont poussée à lire en continu les autres livres de Yôko Ogawa.
Je poursuivais alors ainsi : " Des situations les plus banales, elle arrive à faire émerger les mondes les plus étranges. Des mondes d'autant plus insolites qu'ils naissent de situations et de relations du quotidien, qu'ils touchent des personnages ordinaires. L'art probablement de partir de ce qui est neutre, sans signification particulière, et de le transformer en une aventure merveilleuse et inquiétante à la fois rêve et cauchemar.
Cette auteur semble mieux s'illustrer dans des textes relativement courts comme les nouvelles par une belle maîtrise de l'ellipse. Elle y condense avec originalité l'essentiel des comportements humains en ayant toujours l'air de ne rien écrire de capital. Rien n'est remarquable dans ses fictions. Tout se déroule sur le mode mineur. Ce qui est remarquable, en revanche, c'est cette simplicité de l'écriture qui effleure les pages et constitue chaque récit.
Ses romans (moins nombreux) alourdis parfois par quelques longueurs n'en demeurent pas moins d'une inquiétante étrangeté avec "Le Musée du Silence", d'une étrange et bouleversante profondeur avec "Amours en marge", d'une étrange et poétique relation aux chiffres avec "La Formule préférée du Professeur". Et je rajouterais aujourd'hui, d'une étrange et troublante relation à l'univers de l'enfance avec "La Marche de Mina" que je viens de finir.


Avant de parler ultérieurement de "La Marche de Mina" récemment traduite en français et lue dernièrement, je rapporterai quelques notes anciennes écrites après la lecture de trois nouvelles : "La Piscine", "Les Abeilles", "La Grossesse" dans lesquelles Yôko Ogawa explore tour à tour l'érotisme, l'étrange, le sadisme et la perversion.

Dans "La piscine" la narratrice fascinée et éperdument amoureuse d'un pensionnaire de l'orphelinat géré par ses parents, modèle de perfection et de beauté qui exerce ses talents dans la passion de la natation, est éveillée à la sensualité, à l'érotisme et à la sexualité. Cependant, en apparence exemplaire, la jeune fille se livre à des actes de sadisme récurrents sur la personne de Rie, une jeune et innocente pensionnaire qui est sensée "jouer" avec elle sans rien dire. Par un travail d'écriture sur le fil du rasoir, Yôko Ogawa met bien en relation l'exacerbation mutuelle du désir amoureux et du mal jamais entièrement satisfaits. L'athlète émérite et sans reproche finit par découvrir les penchants sadiques de la narratrice et décide de poursuivre sa vie : sans elle.

Avec "Les Abeilles" la nouvelliste renoue avec le domaine de l'étrange. L'histoire, banale comme souvent, est celle d'une jeune femme altruiste qui installe son jeune cousin provincial et désargenté dans l'ancienne cité universitaire où elle-même a fait ses études. Ce lien renoué avec le passé va lui permettre d'entrer en contact avec le "Maître" infirme qui gère tant bien que mal les chambres de la cité, alors que le jeune cousin volatile reste invisitable chaque fois qu'elle tente de le rencontrer. C'est ainsi, qu'elle croisera quasi quotidiennement le "Maître" et qu'un échange s'instaurera entre la narratrice et le vieil homme. Leur estime réciproque grandira comme la tache non identifiée qui se propage lentement au plafond, qui s'étale énigmatiquement voire dangereusement chaque jour un peu plus jusqu'à ce que la narratrice angoissée, littéralement étranglée et étouffée de peur par cette invasion galopante ne découvre, après la mort de son vieil ami, qu'il s'agit d'un monstrueux essaim d'abeilles dont le miel se répand à vue d'oeil entre le toit et le plafond dans un conduit d'aération.

"La Grossesse", elle, est une perle de sobriété qui conte les relations complexes de deux soeurs dont l'une attend un enfant. Dans son journal, la narratrice va narrer au jour le jour ce qui l'oppose et la lie à sa soeur enceinte. L'une indépendante et débrouillarde, observe et note systématiquement toutes les variations qui subviennent chez l'autre effacée, couvée par un mari discret aux petits soins. Peu à peu, la narratrice va voir sa soeur changer, prendre une consistance et une opacité qu'elle ne paraissait pas avoir auparavant. Cette transformation, les malaises successifs qui l'accompagnent, les fatigues répétitives et handicapantes, l'obsèdent et la dérangent jusqu'au jour où elle décide de devenir active dans cette grossesse en nourrissant sa soeur qui ne pourra finalement plus manger que les pamplemousses préparés jour après jour avec constance par la narratrice. L'une s'incorpore à l'autre et l'autre s'incorpore à l'une. Cette interdépendance les soude comme jamais elles ne le furent auparavant et ce d'autant plus que la vie de la future mère et du foetus semblent dépendre essentiellement de la soeur nourricière, celle qui prépare, qui apporte, qui donne, qui gave, qui paraît redonner la santé mais qui ne fait finalement gagner que du poids, de la dépendance et de la passivité. Les pamplemousses arrivent, sont transformés, sont ingurgités durant des heures, des jours, des mois. L'univers ne tourne plus qu'autour de ces fruits. Mais quels fruits! On ne peut pas mourir d'une indigestion de pamplemousses, au pire on peut se rendre malade mais on en guérit. C'est cependant sans compter sur le "P.W.H", produit antimoisissure fortement cancérigène qui détruit les chromosomes, contenu par ces fruits de ce fait gorgés d'une chair et d'un jus chargés de poison. Sous les airs paisibles de la vie quotidienne, la mort s'installe tranquillement mais sûrement, se répand sournoisement avec un air de ne pas y toucher dans l'organisme, dans le sang de la femme enceinte et du bébé à naître. La narratrice n'évoque jamais clairement son geste d'empoisonnement conscient vis à vis de sa soeur. Elle la nourrit toujours de confiture de pamplemousses "avec fermeté" et se demande parfois sans états d'âme quelle sera "la forme des chromosomes attaqués". Elle s'occupe bien de sa soeur en accédant sans cesse avec obligeance à cette exigence effrénée de chair de pamplemousses. Elle ne fait que contenter, pense-t-elle, un désir irrépressible, une envie folle, un caprice alimentaire de femme enceinte. A la chute du livre, nous comprenons en quelques mots toute l'ampleur du désastre : " J'étais debout, immobile, en train de concentrer mes nerfs sur les pleurs qui m'arrivaient par vagues [...] Je me suis mise à marcher vers la salle des nouveaux-nés, à la rencontre du bébé détruit de ma soeur."

samedi 8 mars 2008

Giora Feidman au théâtre Dejazet en 2006

Cela fait maintenant plus de vingt ans que j'ai découvert un jour la musique Klezmer en m'intéressant à la littérature Yiddish. Le klezmer original se jouait au violon dans les chetls d'Europe Centrale où il accompagnait les fêtes et notamment les mariages. Etymologiquement le mot "klezmer" signifie "instrument vocal". C'était donc au départ un chant cultuel instrumentalisé ensuite par le violon puis par d'autres instruments au gré des migrations et des expérimentations musicales. Les premiers klezmorim que j'ai entendus sont Ben Zimet et Giora Feidman, ainsi que diverses formations orchestrales datant des années 1920 à 1950. En 2006 j'ai eu le plaisir, toujours renouvelé, d'aller entendre Giora Feidman au Dejazet. Si vous voulez en savoir plus sur cet univers musical Klezmer cliquez sur le lien suivant http://zikanina.blogspot.com/



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vendredi 7 mars 2008

Le Magasin des Suicides

"Le Magasin des Suicides" de Jean Teulé part presque "sur les chapeaux de roues" en présentant d'emblée la famille Tuvache, ô combien surprenante, car entièrement vouée au petit commerce macabre des accessoires utiles qui aident diligemment une population profondément déprimée à passer "l'arme à gauche". Lucrèce et Mishima, efficacement secondés par leurs aînés, Vincent le migraineux et Marylin la grosse ado vénéneuse, n'ont cependant pas le plaisir "d'être heureux" puisqu'Alan le benjamin, le maillon faible de cette famille qui s'engraisse sans état d'âme sur le malheur d'autrui, est le grain de sable heureux et optimiste qui dès sa naissance ose sourire et fait se gripper la machine bien huilée à "s'achever".
Pendant un bon tiers du livre, le sourire, voire le rire, vient facilement aux lèvres face à la profusion d'astuces fantaisistes déployées pour amener calmement et sûrement, avec tac et circonspection tous les clients de la boutique à s'autodétruire de la meilleure manière possible en leur prodiguant des conseils à la carte, adaptés à leur profil pour une mort personnalisée : " - Vous, Madame, qui hésitiez entre contact, inhalant, ingérant, celui-ci est un mélange des trois : belladone, gelée assommante et souffle du désert. Ainsi , quelle que soit l'option que vous choisirez au dernier moment : avaler le cocktail, le toucher ou le respirer, le tour est joué. - Bon, ben, je vais prendre ça, se décide la cliente. - Vous ne le regretterez pas. Ah! je suis bête, j'allais vous dire:"Vous m'en dirai des nouvelles." C'est au représentant de M'en fous la Mort que toutes les commandes "utiles" sont passées pour la satisfaction de tous.
L'ironie mordante, la dérision organisée sur le macabre généralisé de la situation, impose une mise à distance qui rend la lecture possible sur des événements finalement tout sauf comiques. Et pourtant on sourit. Et pourtant on rit. Rôle cathartique du rire face à la mort autoprogrammée et assistée.
Cependant, très vite, ce désespoir de société généralisé qui souffle sans arrêt aux habitants de la Cité des Religions de pousser la porte du Magasin des Suicides, ne fait plus recette. Le récit s'enlise, voire s'embourbe lamentablement, dans des situations supposées humoristiques, mais finalement si répétitives, si attendues et si convenues, que l'intérêt amusé du début se consume comme un feu de paille sans consistance. Si les anecdotes amusent un certain temps, elles finissent aussi par "plomber" désespérément (sans jeu de mot excessif ;-) l'ensemble de la lecture qui dans un raccourci s'étiole et lasse. De plus, l'optimisme plutôt malicieux, intelligent et bon enfant d'Alan au début du livre, se transforme en un optimisme "militant" si bienveillant dans sa lourdeur, que "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" pourrait devenir le second leitmotiv lénifiant nettement moins dynamisant que les volées de sarcasmes antérieures. Une chute sans souplesse, qui s'écrase. Un saut sans parachute qui ne présage, dès la moitié du livre déjà, que des dégâts : vérifiés lorsque la dernière ligne est lue et le livre refermé.
Merci à Stéphanie de m'avoir offert ce livre pour entretenir l'amitié.

jeudi 6 mars 2008

Louise Bourgeois à Beaubourg

"Crouching Spider" exposée pour la première fois en Europe dans le grand hall

Parler du travail de Louise Bourgeois exposé  au centre  d'art de Beaubourg jusqu'au 02 juin 2008 me paraît très complexe . Mais il me semble possible de dire qu'une des meilleures façons de faire, pour aborder  la grande
profusion  de son oeuvre artistique serait d'oublier ce que l'on sait - si l'on sait quelque chose -, de se laisser porter par le visuel et d'aller spontanément vers les oeuvres qui font écho en nous sans a priori positif, mitigé ou négatif. Etre attiré même fugitivement par une oeuvre plutôt que par une autre - que l'on soit subjugué ou révulsé, simplement curieux ou soucieux d'exercer plus efficacement son oeil critique - apporte une forme de satisfaction immédiate : plaisir de la nouveauté et de la découverte, émois soudains et imprévisibles dont on ne saurait se priver. Un moyen d'échapper au parcours d'exposition trop bordé et trop balisé qui réserve en fait moins de surprises bonnes ou mauvaises.

"Reticent Child"















C'est donc un peu ainsi que j'ai arpenté sans me presser les différentes parties de l'exposition Louise Bourgeois. J'ai cependant pris soin de voir la vidéo qui lui était consacrée et qui permettait de se faire une idée plus précise de sa démarche. Mon attention a été plus particulièrement attirée par "Extrême tension" et "10h c'est quand tu viens me voir" soit un ensemble de dessins, de gouaches et d'aquarelles datant de 2007, par "Reticent Child" (voir photos au-dessus), par "Legs" et pour finir par la série des "Femme-maison" dessinées, peintes ou sculptées et des "Cellules" (voir photos ci-dessous).


"Femme-maison" et "Cellules"

Pour résumer et sans faire la moindre analyse savante de ce que j'ai vu et entendu, je dirais que tout le travail de l'artiste, Louise Bourgeois, s'articule autour de sa problématique personnelle qu'elle soit  familiale et liée à l'enfance, extraterritoriale et  liée à l'exil matrimonial aux USA, conjugale et donc liée à Robert Goldwater, matricielle liée à ses enfantements... Une oeuvre en forme de thérapie permanente exclusivement marquée du sceau de l'autobiographie narrée en de nombreuses variations. Un parcours artistique sans limite qui se manifeste hors de toute classification possible (même si des filiations avec le minimalisme, le surréalisme dans son rapport à l'inconscient, l'art conceptuel... sont envisageables) et qui explore une variété très étendue de matériaux et de supports comme le papier, la peinture, le bois, le métal, le plâtre, le marbre, le bronze, le latex, les tissus... Depuis plus d'une cinquantaine d'années, un foisonnement impressionnant de productions - qui ne tarissent pas car à 97 ans l'artiste crée toujours et qui se déclinent sous toutes les formes : dessins, peintures, gravures, sculptures, installations... - ont vu le jour pour nous étonner, nous interroger, nous plaire ou nous déplaire.
Pour résumer : à Beaubourg dans le hall "Crouching Spider", Galerie 2 et Galerie 6 "L'exposition", mais aussi au Jardin des Tuileries "Maman" l'araignée géante dressée.

mardi 4 mars 2008

Le Carnet Rouge

Le "Carnet Rouge" de Paul Auster, un petit livre sans prétention comme je les aime à glisser dans sa poche. Treize anecdotes du quotidien écrites parce qu'elles font "souche" dans la mémoire. Treize vignettes où les coïncidences, les répétitions, les hasards, les similitudes, les erreurs et les quiproquos émaillent la vie de tous les jours. Treize petites histoires à sortir de sa poche et à lire n'importe où : au café, dans le métro, à l'arrêt du bus, dans son lit, à sa table de travail, dans son bain, dans les files d'attente, au dessert, entre deux paroles échangées ou deux photographies. Treize petits plaisirs du jour à lire et à relire partout où l'on se trouve, jusqu'à les savoir sur le bout du coeur.

Photo de mhaleph

samedi 1 mars 2008

Dérivation


Dérivations voyageuses. Mémoires transfuges. Pensées circonstancielles. Présents déroulés.

Vidéo de mhaleph