dimanche 24 août 2008

China Gold

Cui Xiuwen, "Ange n°2"


"China Gold" (entendre vidéo), une exposition d'art chinois contemporain regroupant les oeuvres de trente cinq artistes de "L'Empire du Milieu : 中国" se tient actuellement à la Fondation Dina Vierny (Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris) et vous pourrez encore la découvrir jusqu'au 13 octobre 2008, si ce n'est déjà fait.


Les oeuvres de ces artistes : Tang Zhigang, Feng Zhengjie, Wang Qingsong, Ling Jian, Miao Xiaochun, Wang Guangyi , Zhang Huan, Zhang Dali, Zeng Fanzhi, Sui Jianguo, Sheng Ji, Jang Shaobin, Ma Liuming, Li Qing, Shi Guorui, Ai Wei Wei, Cui Xiuwen, Jiao Xingtao, Wang Keping, Yan Lei, Zheng Cu, Cung Xin, He Yunchang, Zhang Lu, Zhang Xiaogang, Jiang Zhi, Yin Zhaoyang, Hong Hao, Zheng Guagu, Li Qing, Zhou Xiaohu, Li Honghuo, Cao Fei, Tiang Zhi..., souvent radicales, expression d'un travail s'étendant sur trois décennies environ, se déclinent en de multiples formes : peintures, photographies, sculptures, vidéos, installations, performances...


                                                               Feng Zhengjie, "Portrait n°5"


Pratiquement tous les artistes présentés jouent avec les représentations symboliques appartenant aux périodes historiques antérieures : celle de l'ère impériale cotoyant celle de l'ère maoïste. La plupart d'entre eux sont issus de courants artistiques tels que "Le groupe des étoiles", "Le village de l'est" ou "Le groupe de l'art du nord" et travaillent dans le sens d'une réappropriation (par exemple le jaune autrefois exclusivement réservé au pouvoir impérial et aujourd'hui utilisé de manière profane dans de nombreuses oeuvres), d'une désacralisation (comme celle des images de propagande détournées par une société de profit...) dans le courant de la Pop Politique suivi par Wang Guangyi , d'une mise à nu des corps(incompatible avec les représentations de l'art chinois traditionnel) travaillant sur les ambiguités commes les portraits de Ling Jian, les anges de Cui Xiuwen ou les bébés de Ma Liuming , d'un réalisme non plus socialiste mais plein de cynisme...


Ling Jian, "Héros n°4"

Zhang Dali, "AK-47"

La porte entrouverte résistant à toutes les forces du pouvoir (comme les habitants de "La maison clou" de Chongqing filmée par le vidéaste Jiang Zhi qui refusaient de céder du terrain à la démolition ) est aujourd'hui grande ouverte à toutes les audaces pour aller plus loin dans l'avenir...



"La maison clou" de Chongqing



Voilà donc pour cette exposition insolite qui m'a personnellement permis de découvrir tout un univers artistique qui m'était jusqu'à présent pratiquement inconnu, avec étonnement, curiosité, plaisir et parfois septicisme (je pense surtout et entre autres aux violentes performances de He Yunchang coulé dans du béton et à cette anecdote concernant Sheng Qi et sa problématique connexion-déconnexion d'avec la mère patrie - dont il s'éloigne en séjournant en Europe mais où il revient et se fixe - qu'il matérialise par une mutilation, signe de protestation face à la répression qui eut lieu sur la place Tiananmen le 4 juin 1989, en se coupant le petit doigt de la main gauche et en l'enterrant dans une pot de fleurs!) .

Ciui Xiuwen, "Ange n°2" sur papier de riz

jeudi 21 août 2008

Irène Némirovsky

Dernièrement, j'ai lu "Suite française" d'Irène Némirovsky composé de : "Tempête" et de "Dolce". Originellement, ce livre devait comprendre cinq parties, mais l'arrestation, la déportation et la mort de son auteur, déjà prolixe, n'ont pas permis qu'il soit achevé.
C'est une écriture d'observation fine et incisive que manie Irène Némirovsky. Son livre se lit sans la moindre interruption et sans aucune lassitude. D'une part, il nous entraîne sur la route de l'exode dans le flot des français en déroute croqués sans complaisance, avec acuité et perspicacité. D'autre part, pendant l'occupation, il nous fixe dans le village de Bussy où de subtiles relations se nouent et se dénouent entre les habitants et l'occupant, entité aux multiples visages.
Tous les comportements et toutes les pensées des personnages - que ce soient les nobles de Montmort, les bourgeois Péricand, Angellier, Perrin, les snobs et arrivistes Corte, les honnêtes gens et les employés modestes comme les Michaud, les secrets paysans Labarie, les allemands de service Bonnet et von Falk et tant d'autres - sont passés au crible, au peigne fin en une succession de petits tableaux entrecroisés qui se répondent et dans lesquels on devine déjà les actes futurs de cette humanité jetée au hasard sur les routes de France dans la guerre et durant l'occupation.
Un excellent livre dont on ne négligera ni la "Préface", ni les travaux préparatoires intitulés "Notes manuscrites", ni la partie "Correspondance 1936-1945", annexes riches en renseignements divers et contradictoires et disons-le aussi troublants sur la vie d'Irène Némirovsky, sur la composition envisagée pour le livre inachevé et sur l'évolution de son écriture, sur la situation vécue par Mikhaël et Irène Epstein et leurs deux filles Denise et Elisabeth.

mercredi 20 août 2008

La môme Xiao de Tao Peng

Hier, je suis allée voir "Xue Chan" soit "La môme Xiao" du jeune réalisateur chinois Tao Peng. Un film d'une simplicité redoutable et désarmante qui fait froidement le constat clinique du trafic d'enfants infirmes vendus, revendus et exploités pour la mendicité d'une part, le constat du trafic lucratif d'organes "frais" qui s'exerce sur des êtres naïfs et sans défense, adolescents et jeunes adultes le plus souvent déracinés, d'autre part.
C'est en suivant la cadence des pas syncopés de ses personnages (tous acteurs non-professionnels), caméra au poing et à l'épaule, que Tao Peng, en plans serrés, mouvants et baladeurs dans la lumière naturellement glauque de ces villages et de ces villes de Chine à l'abandon, choisit de "dénoncer" ou tout au moins a la volonté de "montrer" l'envers du décor.


Dans cette Chine profonde, régie par les gangs et les petits caïds de quartiers ressemblant à s'y méprendre à d'honnêtes travailleurs pauvres, Luo, le père adoptif de la fillette, tente sa chance en pratiquant une activité illicite, soit la mendicité par enfant interposée. C'est la misère ordinaire matérielle et morale que Tao Peng suit pas à pas avec une économie de paroles et de musique qui décourage l'éclosion du moindre pathos. Pourtant, c'est aussi cette absence de mots et de musicalité, cette déambulation urbaine de la mendicité professionnelle symbolisée par "Xiao" (Petit Papillon) la fillette invalide transportée sur le dos de Guihua sa mère adoptive, cette guérison improbable, cette vie brisée, cet avenir barré qui remuent progressivement, puis brassent sans arrêt des pensées moroses dans la tête des spectateurs qui ne peuvent finalement et malgré tout qu'éprouver une compassion profonde pour cette enfant condamnée que le régime (lointain dans cet univers) ne semble pouvoir prendre correctement en charge, pas plus qu'il ne secourt le petit manchot, un de ses compagnons d'infortune.


Enfant-objet ou enfant-poupée, infirme incurable, "Xiao" est vouée à l'abandon comme nous le savons (déjà) intuitivement à l'ouverture du film. Une tranche de Chine à l'état brut, celle qu'on ne voit jamais dans les reportages officiels, celles qui "en coulisse" existe... aussi...

mercredi 13 août 2008

Siri Hustvedt

A l'occasion de la lecture du dernier roman de Siri Hustvedt , j'ai eu envie de joindre, à la fin de cet article, un petit texte relatant ma découverte de cette écrivaine en 2005.


Je ne résumerai pas longuement "Elégie pour un Américain" car de nombreux articles et la quatrième de couverture le font fort bien, et je me contenterai d'exprimer le plus prosaïquement possible , donc le plus sincèrement possible sans doute, la manière dont j'ai abordé et lu ce roman.


Je me suis assez rapidement coulée dans cette narration complexe aux multiples entrées entrecroisées qui ne laissent jamais le lecteur en repos et le poussent dans ses retranchements de liseuse paresse. La conjonction permanente des histoires de Lars Davidsen (père du narrateur) mort récemment, d'Inga et de Sonia (soeur et nièce du narrateur) veuve et orpheline de fraîche date, de Miranda et d'Eglantine, alias Eggy, (une jamaïcaine et sa fillette locataires du narrateur), d'Erik Davidsen (le narrateur : fils, frère, oncle, propriétaire des précédents et psychanalyste de surcroît) nous met en présence des différents personnages morts ou vivants de manière dynamique par le truchement de divers procédés littéraires comme la correspondance, le journal intime, l'introspection narrative, la narration dans la narration, la réflexion... Une habile construction qui nous promène puis nous entraîne d'un univers à un autre, qui fait aussi que ces mondes s'entrecroisent, se chevauchent, dépendent les uns des autres. Une subtile construction qui relie entre elles ces histoires singulières et plurielles en permettant d'explorer le passé en lien avec le vivant présent et l'avenir supposé (mais sans insister toutefois compte tenu des zones d'ombre qui affleurent inévitablement...) par le biais du phénomène complexe de la mémoire et de l'imagination.


Une belle écriture bien posée, dense, évocatrice qui donne évidemment tout son intérêt à cette complexité narrative suggérant sans arrêt au lecteur de participer à la construction du sens et de la lecture au lieu de la subir passivement dans un état d'attente léthargique.


Ces vies en apparence si simples (mais en apparence seulement) ont toutes au moins un point commun : elles se révèlent plus "obscures" et plus "énigmatiques" que prévu. Ce sont tous les "accidents" de parcours, toutes les "plaies" vives ou cachées, tous les "moments éphémères" de bonheur dans la vie de chacun qui portent le récit dans lequel l'histoire ancienne et contemporaine se mêlent aux histoires dites personnelles. Rien ne peut finalement être dissocié comme le démontre magistralement la fin de ce roman écrite comme une pensée continue non cloisonnée.




Quelques citations extraites de "Elégie pour un Américain"
- " La tête inclinée sur la page, je savais qu'il écrivait contre le temps." p.99
- " La mémoire ne prodigue ses cadeaux que si quelque chose dans le présent la stimule. Ce n'est pas un entrepôt d'images et de mots fixes, mais un réseau associatif dynamique dans le cerveau..." p. 112
- " Le problème, c'est que nous sommes tous aveugles[...] Nous ne faisons pas l'expérience du monde. Nous faisons l'expérience de ce que nous attendons du monde. Cette attente est très très compliquée..." p.177
- " Si quelque chose avait changé, c'est qu'elle savait qu'elle pouvait survivre à la force de sa propre émotion." p.302
- " Nous avons regardé ensemble par la fenêtre les toits et les nuages, et je me suis dit : N'oublie jamais ce bonheur. N'oublie jamais parce qu'il aura bientôt disparu." p.333
- " Je sais que ce qu'on dit est souvent moins important que le ton de la voix qui prononce les mots." p.380

Vous trouverez ici :
- un résumé et une critique (entre autres!) professionnelle de "Elégie pour un Américain" chez Actes Sud
- un entretien de Siri Hustvedt et Paul Auster sur la création littéraire conjointe, sur leurs modes de travail et sur leurs productions littéraires... Cette vidéo fait d'ailleurs écho à l'excellent livre de Gérard de Cortanze "Le New York de Paul Auster" dans lequel le mode de travail de ces deux auteurs est abordé.


Texte écrit en février 2005 : à la découverte de Siri Hustvedt



Au mois de janvier, j’ai lu et découvert Siri Hustvedt. Je connaissais son nom, je savais qu’elle écrivait, mais je n’avais encore jamais ouvert un de ses livres. J’aurais dû le faire plus tôt. Mais, je me suis bien rattrapée puisque j’ai lu quatre de ses livres publiés chez Actes Sud en deux mois. J’ai commencé par le dernier en date « Tout ce que j’aimais » et j’ai fini par le premier "Les yeux bandés " en passant par "Yonder " et "L’envoûtement de Lily Dahl ". Me reste encore à lire " Les mystères du rectangle".

"Yonder " reste sans doute celui que j’ai le plus aimé. Ce n’est pas un roman, contrairement aux trois autres, mais un ensemble de textes réflexifs regroupés sous le nom du premier qui ouvre le recueil. Les thèmes abordés traitent essentiellement des relations de l’auteur – mais plus largement de nos relations – à la littérature, à la peinture, à la sexualité et à l’érotisme, à l’argent. Chacun de ces textes suscite un vif intérêt. Loin des dogmatismes, Siri Hustvedt ose dire simplement et subtilement ce qu’elle pense et ce qui la traverse. La simplicité et la complexité peuvent paraître paradoxales, cependant, c’est bien de cela dont il s’agit : l’alliance bien dosée, le mélange sans surcharge qui arrivent à énoncer la diversité. Face à une situation, une conversation, un livre, un tableau, elle réagit. Elle ose se mettre mentalement à nue. Elle prend le temps de dire ce qu’elle en pense sans mensonge loin des dogmatismes et des références supposées exigées. Elle s'efforce honnêtement et sincèrement de partir de "son regard".Elle ose parler de la complexité inhérente aux relations humaines, à la vie, à la mort, à l’univers littéraire et artistique, à l’environnement qui nous cerne.

Puis, elle tourne la page.

Dans le texte intitulé "Yonder ", l’auteur remonte à son métissage linguistique et territorial et poursuit une réflexion dense et personnelle sur l’art de lire et d’écrire : comment et pourquoi ?
Les trois romans, eux, ne manquent pas d’intérêt bien que très différents les uns des autres :
"Les yeux bandés " retrace en quatre chapitres quatre rencontres décisives et étranges dans la vie de Iris Vegan. Talonnée par sa misère d’étudiante pauvre et par d’épouvantables maux de tête chroniques, Iris sera poussée à réagir et à s’interroger au cours de ces quatre étapes clefs de sa vie. Elle devra se construire sur une ligne de fuite parfois inquiétante dont elle arrivera cependant à toujours maîtriser l’équilibre in extremis sans se perdre et pour ne pas se perdre, justement.
"L’envoûtement de Lily Dahl " est une surprise traitée à la manière de Hopper ou de Steinbeck sur l’Amérique profonde dans laquelle Lily, apprentie comédienne, occupe ses jours et ses nuits et apprend la vie, entre l’Idéal-Café lieu de son job alimentaire, « Le songe d’une nuit d’été » qu’elle répète très professionnellement au théâtre aidée par sa vieille amie Mabel, l’étrange peinture de l’énigmatique Edouard Shapiro, parmi les habitants ordinaires mais parfois aussi atypiques d’un petit bled de campagne.
"Tout ce que j’aimais " prend en écharpe le parcours d’une poignée de personnages artistes et écrivains, sur le trajet accidenté de leur vie jalonnée de passions, de bonheurs, de drames et de mûrissements dans une Amérique mutante. Léo, le narrateur, à l’instar des autres personnages, y développe une réflexion sur le rapport de l’être humain à son corps, à l’espace, à l’autre, à la création artistique et littéraire.

Des thèmes récurrents donc, dont on ne se lasse cependant pas tant la manière de les intégrer à la trame du récit est différente d’un livre à l’autre. Des clins d’œil savants à tout un ensemble de références qui nourrissent le texte en lui donnant plus de densité. Voilà pour l’essentiel.




Photos de mhaleph