mercredi 29 décembre 2010

Effets Buvard(s)


Déplacements fragmentés des cerfs-volants traînant après eux leurs longues robes grises qui racontent des histoires en boucle, sans début ni fin, sans articulations narratives, sans ambition de cohérence (académique), sans certitude de retour.
Déplacements fragmentés des cerveaux volants traînant après eux leurs certitudes aléatoires qui ne racontent rien qu’un peu de bruit dans la tête, qu’un peu de lumière dans les yeux, qu’un peu de silence dans le cœur.
Effet buvard(s). Sur lesquels s’écrasent et disparaissent les secrets des correspondances, des notes de service, des listes de courses. Tous envolés dans le vent qui ne raconte rien que des sifflements mordants sous l’âpreté du ciel levant.


Photos de mhaleph

mardi 28 décembre 2010

Relectures

Le salon de lecture en plein air
Les relectures comme des connivences avec des textes qu'on redécouvre parfois d'un oeil neuf ou à peine inchangé. Une mise à l'épreuve, un test de la mémoire et du ressenti parfois salutaires.

Première relecture

Après avoir lu « Les âmes grises » et « La petite fille de Monsieur Linh » de Philippe Claudel - qui resteront pour mémoire des écritures perlées au point lancé, de la belle ouvrage à l’ancienne sachant rebondir au bon moment, au bon endroit et à propos sur la laideur des faits, sur l’injustice des situations de hasard, sur la stupidité des guerres, sur le doute perpétuel et sur des sujets toujours actuels tels que la folie, la confusion, l’amour, la mort - j'ai de nouveau abordé «J’abandonne », livre plus ancien un rien répétitif malgré l’alternance, non des points de vue, mais des récits qui s’enlacent et se délacent. Le sujet touche à la récupération à chaud des « pièces détachées » sur les morts de fraîche date pour prolonger des vivants en sursis et le récit en italique concernant la femme foudroyée par la mort de sa fille unique de dix-sept ans demeure dans la justesse de ton. Quant à la partie concernant le narrateur elle ne cesse de susciter "des étonnements". Quel veuf aussi récent soit-il confierait en effet sa fillette de presque deux ans à une baby-sitter déjantée, suppurante de piercings manqués et camée jusqu’à la garde qui passe sa vie à courir les raves, les bons coups et les bons plans : tous foireux évidemment ? Mais c’est un veuf, à la dérive, bien entendu, comme sa condition l’exige. Un veuf qui ira cependant, et peut-être à cause de cette détresse quotidienne, jusqu’à la révolte pour ne plus être le « psycho-hyène » puant achevant sa proie en bout de course, lorsque vidée par la colère, la douleur et l’incompréhension elle cède enfin, aux dépeceurs de macchabées à l’affût, le cadavre encore chaud d’un proche bien-aimé, en désespoir de cause. C'est la curée. Puisqu’on ne peut plus rien et que personne jamais ne revient du pays des morts, soyons grands et magnanimes : donnons du vivant, des morceaux atomisés qui avant de disparaître tout à fait auront eu l’élégance de prolonger quelques individus en mal de viscères salvatrices. Mais qui s’agit-il de sauver : un salaud de première ou un bon samaritain ? Dans cette loterie point de choix. Seule la conscience d’un certain mais vague humanisme universel ou l’évidence d’un basique instinct de survie ou encore la satisfaction de se donner bonne conscience et de pouvoir une fois au moins rendre un service de poids dans sa vie, prendra la place d’une vraie décision mûrement réfléchie qui poserait ses conditions. Mais de conditions point car au jeu de l’urgence médicale c’est la matière qui prime et non le « pedigree ».
     Voilà la réalité : « Quelqu’un vient de mourir […] en pleine santé, un de ses poumons vous est offert, ou bien son foie, son cœur, ses reins, et à l’autre bout du téléphone, il y aura des rires, des embrassades, des baisers, un grand espoir. C’est cela qu’il veut : dépecer votre fille, […] vider votre fille comme une carcasse de voiture, prendre les pièces en bon état, toutes les pièces en bon état, certaines serviront tout de suite, seront consommées quasiment sur place, d’autres emportées très loin, parfois congelées pour servir plus tard, les chirurgiens ne négligeront rien, ils sont très consciencieux, ils prendront tout, la cornée, la peau, les muscles, les tendons… »
     J'ai reposé ce livre avec les mêmes interrogations et c'est aussi avec la même violence que cette histoire de vie et de mort m'est remontée à la gorge. Une façon sans doute fort peu protocolaire de souligner que le sujet n'en finit pas d'épuiser ses lecteurs et qu'aucune réponse véritablement satisfaisante ne peut être apportée à ces questions.

Deuxième relecture


C'est dans " Le néant quotidien " de Zoé Valdès, que j'ai retrouvé Yocandra, enfermée dans l’île de tous ses désirs et de toutes ses désillusions, errant d’idéaux en vidé-aux pour oublier son mal de vivre sous le soleil tropical, entre : son vélo chinois, son antivol russe, son quatrième étage sans électricité, ses corvées d’eau , ses indigestions de haricots, ses boutiques vides, ses arrivages à la va comme je te pousse, sa contradiction principale inhérente au heurt d’une sensibilité native et d’une idéologie acquise il y a longtemps à son corps défendant lorsque son papa, coupeur de canne émérite, et sa maman, cubaine de choc vu les circonstances, lui ouvraient la voie, ses longues stations nocturnes sur le Malecón au bout de la Rampa en compagnie de La Vermine sa meilleure oreille partie un beau matin avec un gros plein de soupe et qui lui chante au jour des bilans sa désillusion européenne à coups de lettres cochonnes.
     Entre Le Traître schizophrène entré en dissidence littéraire, Le Lynx révolutionnaire du terrain culturel passé chez les gringos et Le Nihiliste seul cinéaste de génie de sa génération, Yocandra essaie de vivre et se met à tracer « ses » mots : « Elle vient d’une île qui avait voulu construire le paradis. » …
     Toujours un goût amer en bouche après cette redécouverte d'une lecture déjà ancienne.

Troisième relecture

     " Léviathan " de Paul Auster m'a encore ouvert ses pages. Un ami perdu et retrouvé entre les lignes sibyllines d’un article de journal que Peter Aaron aurait préféré ne pas lire.
     Un ami mort désormais. Mais l’ami vivant, du mort s’emparant, retrace à coups de plume rapide et incisive le parcours singulier de celui qui voulait racheter le monde agonisant d’un mal indélébile.
     Une fuite en avant sacrificielle à laquelle le narrateur a voulu éviter le regard réducteur de la loi, en écrivant dans l’urgence l’histoire singulière de Ben Sachs se trouvant paradoxalement dans la perte de soi.
     A lire comme une longue course d’obstacles, comme un marathon entrepris entre deux pauses pour essayer de cerner ce qui de l’autre à moment donné « capote » alors qu’on se croyait pourtant si perspicace à détecter ce qui en face restait trouble et susceptible d’engendrer des actes prévisibles. Imprévisibles cependant. Paradoxe encore. C’était à prévoir, et pourtant on n’y croyait pas ! C’est un peu de ces histoires conjointes et disjointes dont il s’agit ici. Attrapez la balle au bond et lancez-vous dans « Léviathan » à sa poursuite.
     Une histoire troublante qui encore pourra sans doute un jour se relire.

Photo : " Le salon de lecture en plein air " de mhaleph

dimanche 19 décembre 2010

Liberté surveillée...

Liberté surveillée. 7 heures le soleil point. L’aube s’estompe pour laisser place aux clartés mates du ciel et de la mer hivernaux. 8 heures les chiens lèvent la patte puis courent en jetant autour d’eux des geysers de sables humides, pendant que leurs maîtres, encore sommeilleux et éreintés par trop de liberté, les accompagnent d’un pas ou d’un footing qui se veut alerte et énergique. 9 heures un bandana traîne sur le bitume. Quelqu’un a perdu ses gants. Des coquillages alignés sur le parapet qui borde la rue et délimite l’espace maritime, attendent qu’un enfant les ramasse ou qu’un adulte collectionneur se laisse séduire par leurs nacres polies. 10 heures sur la plage des traces de pas échevelées s’entrecroisent dans un grand fouillis d’arabesques et de directions hypothétiques. 11 heures l’air ne sent presque rien. Le vent se lève en rafales rasantes et dévaste l’ordre parfait des lampadaires qui se balancent en grinçant. 12 heures l’orage s’annonce et éclate enfin malgré les sentinelles qui veillent au loin.

Photo de mhaleph

dimanche 24 octobre 2010

Littérature asiatique


     Un retour à la littérature asiatique ces derniers temps, m'a amenée à poursuivre mes découvertes au sujet de Akira Yoshimura et Yoko Ogawa pour le Japon, de Yu Hua pour la Chine.

      C'est par ce dernier que je commencerai, car l'aspect truculent et jubilatoire qui traverse "Brothers" se retrouve parfois encore dans "La Chine en dix mots". Un excellent "docu-perso" dans lequel Yu Hua tente, non pas une définition de son pays, mais une esquisse soutenue de ce qu'il fut et de ce qu'il est au travers d'une multitude d'anecdotes servant de points de départ à des analyses critiques.
     Entre le sourire et le rire provoqués par des situations cocasses, les sueurs froides et les douloureuses tensions engendrées par les situations tragiques et extrêmes, le lecteur est "ballotté" dans l'histoire des cinquante dernières années de ce monde si longtemps clos et si vite ouvert. L'auteur essaie de donner quelques clefs, et le lecteur peut à son gré utiliser son trousseau pour ouvrir les portes verrouillées des différents chapitres intitulés : Peuple, Leader, Lecture, Ecriture, Lu Xun, Disparités, Révolution, Gens de peu, Faux, Embrouille, sans oublier l'Avant propos et la Postface ainsi que les nombreuses et indispensables Notes des traducteurs, comme il l'entend.
     De son enfance au seuil de ses cinquante ans, à l'épreuve de ces années, Yu Hua s'est construit comme homme et comme écrivain en contournant les écueils de l'angélisme révolutionnaire ou de l'attitude renégate pour revisiter la Chine lucidement de l'intérieur, avec clarté et précision, et apporter un autre regard sur ce pays triomphant mais non exempt de plaies et de bosses, de manigances et de corruptions.
     Un livre que je recommande chaudement à tous ceux qui gardent, de près ou de loin, un oeil sur l'Empire du milieu, et à tous ceux qui néophytes voudraient en savoir un peu plus...

     Akira Yoshimura, auteur de "La Jeune Fille suppliciée sur une étagère" est revenu dans mon champ de lecture avec "Le grand tremblement de terre du Kantô".
     Si le premier texte joue sur l'étrangeté de la situation narrée par la Jeune Fille morte, le second s'appuie sur un événement réel, soit le tremblement de terre de magnitude 7,9 qui eut lieu le 1er septembre 1923 à 11h58 dans la région de Tokyo et Yokohama et qui fit 200 000 victimes. Ce livre n'est donc pas un roman, mais plutôt le "récit-docu" d'une catastrophe avérée.
     Akira Yoshimura a, d'une part, retranscrit les faits comme un écrivain dans les parties narratives qui relatent le contexte sismologique - avec sa querelle d'experts - et politique,  le séisme lui-même et la terreur qu'il provoqua, le cortège sans fin des conséquences atroces se traduisant par des incendies prodigieux et meurtriers, des troubles sociaux d'une ampleur inégalée et des assassinats dûs à la complète désorganisation des infrastructures et aux rumeurs les plus insensées concernant les travailleurs coréens. Viennent ensuite la reconstruction laborieuse et le trauma consécutif.
     L'auteur, d'autre part, n'a pas omis d'apporter sur le vif à ses lecteurs atterrés, saturés d'horreurs, tous les témoignages des survivants dont il se fait l'écho pour corroborer ses développements accablants.
     Enfin, viennent ponctuer ces récits innommables les comptes rendus très détaillés et fastidieux du nombre d'êtres humains, de trains, de bâtiments, de ponts, de routes, de lieux... anéantis,  répertoriés avec un soin maniaque dans de longues, très longues listes et d'interminables tableaux chiffrés. L'accablement vous prend soudain, jusqu'à la nausée, lorsque vous évaluez la somme infinie des informations méticuleusement enregistrées avec cette obsession récurrente du moindre détail. Peut-être pour se souvenir enfin et prévenir à l'avenir la légèreté meurtrière des hommes qui, oublieux des enseignements du grand tremblement de terre de 1716, omirent d'éteindre les feux de cuisine et d'abandonner leurs possessions matérielles (d'où la propagation instantanée des brasiers).
     Malgré les exténuantes longueurs relatives à l'épuisant chiffrage des pertes humaines et matérielles, je recommanderai aussi ce livre qui reste un point fort, un élément culminant.
    
Pour finir, j'évoquerai Yoko Ogawa et "Les tendres plaintes" comme un retour à l'apaisement où la calligraphie et le clavecin se mêlent et se démêlent au fond d'une sombre forêt initiatique lieu de tous les possibles. Des personnages en marge pas tout à fait présents, pas tout à fait absents, un temps en suspension et l'impression toujours vive d'évoluer dans un univers du ralenti où le moindre silence, le moindre mot, le moindre regard, le moindre geste prend un sens en lui-même dans une histoire presqu'absente. Mais ce n'est encore qu'illusion puisque la trame de ce récit du minima réside dans le déroulement de faits finalement ordinaires.
     L'arrière-goût paradoxal d'une saveur atone, d'un inachèvement bien bouclé où les personnages poursuivent leurs parcours personnels liés aux incidents et aux aléas de leur vie.
     A lire si vous recherchez une forme éphémère de ralentissement et d'apaisement peut-être.

Photos de mhaleph

dimanche 15 août 2010

Lettres à Yves


Les "Lettres à Yves" de Pierre Bergé peuvent susciter l'enthousiasme ou la réflexion, la spontanéité des réactions ou la réserve du recul.
J'opterai pour l'interrogation, car ce n'est pas sans questions que j'ai lu ce  livre dont la forme épistolaire - forme de l'interpellation ciblée par excellence, artifice nécessaire à l'écriture du non-dit, révélateur d'implicite, propices aux révélations - se prête particulièrement bien aux questionnement récurrents des lecteurs.

Mais Pierre Bergé entre sincérité et prudence ne révèle que des demi-vérités, esquisse des pans contradictoires de la vie d'YSL sans jamais le livrer complètement en pâture à la curiosité. Question de dosage.

D'une part, l'évocation constante de la carrière inattendue, exceptionnelle, révolutionnaire d'YSL dans ce monde très codé de la haute couture qu'il s'est attaché avec un acharnement monomaniaque à transformer, à dévier de sa trajectoire convenue. Cet aspect, est souligné avec toute l'emphase et toute l'admiration de Pierre Bergé qui reconnaît la marque d'un "créateur de génie".
D'autre part, la vie scindée entre la joie et la douleur, sombrant assez vite dans les excès destructeurs et la dépression d'YSL.

Idéalisant leur rencontre et leurs premières années, n'oubliant pas la souffrance de l'amant délaissé mais toujours stoïquement fidèle, euphémisant sur les actes destructeurs d'YSL tout en souligant la part de froideur de son compagnon, Pierre Bergé est-il sincère par cette évocation très personnelle et tronquée de leur vie? L'est-il lorsqu'il dit la souffrance, la tristesse, sans jamais oublier la nostalgie des beaux jours passés ensemble, des passions communes entre voyages, collections et vie mondaine, des investissements conjoints, de la dépendance amoureuse malgré les affres engendrés par les excès?
Authentique, quoi que complaisant sans doute, il l'est probablement car Pierre Bergé évoque, comme ils viennent, tous les moments clefs de leur vie dans un joyeux désordre qui donne l'impression au néophyte de voyager dans un labyrinthe improvisé.
Authentique aussi car aucun éclaircissement ne vient assouvir la curiosité, car aucune construction trop logique ne vient fixer ses réminiscences. Pour en savoir plus les lecteurs devront aller glaner ailleurs leurs informations.
Authentique et retors, Pierre Bergé flirte aussi avec la complaisance vis à vis de lui-même lorsqu'il insiste et s'attarde sur son rôle d'indispensable mentor, qu'il interroge cependant a posteriori en se demandant si son rôle de protecteur éternel a entravé le développement personnel de son compagnon de route en ne privilégiant que l'épaouissement du créateur.

Cependant, à sa décharge, il n'est pas inutile de préciser qu'il était difficile d'éviter les clichés de l'évocation, le pathos larmoyant ou les reproches éternels.
En louvoyant entre ces éccueils et en allant sans plan préétabli d'un ressenti à un autre, Pierre Bergé évite en partie ces travers tout en éveillant notre intérêt de lecteur.

Un livre assez court au petit format, qui peut se transporter facilement et se lire de même chez nrf Gallimard.

Photo de mhaleph

mercredi 11 août 2010

Qumrân


Point de clichés des rouleaux et manuscrits de la mer Morte, mais une belle balade historico-fantasmatique dans l'univers "magique" des grottes de Qumrân déroulant le long fil des découvertes, des transactions, des marchandages, des déchiffrages, des hypothèses et des incertitudes... à une température avoisinant les 18°C (conservation oblige) qui finit par nous glacer le sang et nous fit entreprendre une remontée vers le soleil baignant le jardin intérieur de la BnF.


Pour toute la partie érudite et historique suivre le lien : le mystère de Qumrân (PDF) et le secret des manuscrits de la mer Morte (vidéo).



Pour les lectures d'accompagnement vous pouvez lire :
- "Qumrân" (1996) d'Eliette Abécassis (thriller politico-théologico-historique qui permet d'entrer par la fiction dans cet univers très fermé de l'archéologie biblique) ainsi que ses suites... : "Le trésor du temple" (2001) et "La dernière tribu" (2004).





Photos de mhaleph

mardi 10 août 2010

YSL au Petit Palais

Si vous avez une envie de fantaisie, d'insolite et de raffinement, il est encore temps de découvrir l'hommage à YSL au Petit Palais jusqu'à fin août et donc d'y aller.
Par petites bribes, par touches délicates YSL se décline tout au long de ce parcours chronologique et thématique des années 50 à nos jours.
Captivées, mais non point béatifiées, par cette grandiose rétrospective, nous nous prîmes à rêver en louvoyant entre la haute couture et ses pièces uniques, les premiers pas de son prêt-à-porter, les créations issues de ses "voyages imaginaires" et celles tout droit inspirées de son "miroir de l'art".
Nous avançâmes donc entre étonnement et émerveillement, portées par la magie de certains modèles, prêtes à remplir nos paniers imaginaires... Mais, las, nous nous contentâmes finalement d'un marque-page et d'un badge YSL qui disait ne pas faire de l'art mais plutôt un artisanat qui avait besoin d'un artiste pour créer les collections d'un trait inventif.


Un style donc, mais pas une mode, qu'il élaborait dans la maison-jardin de Majorelle à Marrakech : un petit paradis de sons, de lumières et de couleurs qui lui permit de faire vivre ses créations en jouant sur des nuances subtiles.


Lecture d'accompagnement :

"La vérité n'appartient qu'à ceux qui la savent, les autres ont le droit d'avoir celle qu'ils se sont inventée." p.48

"Ce personnage [...] dont tu fis une armure pour te protéger de la vie et des autres, je ne l'ai pas aimé. Mais je t'aimais, donc je l'ai accepté [...] p.59



Photos de mhaleph

mercredi 28 avril 2010

Le hors cri

Autoportrait avec cigarette

Récemment, une amie m'a donné le choix d'une exposition à aller voir ensemble et j'ai opté pour "Edvard Munch ou l'anti-cri " exposé à la Pinacothèque jusqu'au 18 juillet 2010. J'étais ainsi sûre de découvrir, de bout en bout, le travail d'un peintre dont je ne connaissais rien, hormis le célébrissime "Cri", pour moi indissociable de la  couverture  du "Horla" (1ère version, 2ème version) de Maupassant, lu et relu dans la collection folio.

L'impression d'ensemble que je conserve de cette exposition est mitigée. Peut-être parce que c'était une première découverte. Quoi qu'il en soit, Munch reste inclassable et déroutant. Il paraît ouvrir la voie à un expressionnisme violent car son oeuvre dans son ensemble reste toujours tendue vers une expression paroxystique de toute son intériorité tourmentée par le poids d'une éducation rigoriste et d'un vécu douloureux où la maladie et la mort sont intimement mêlées.



Beaucoup de toiles de Munch fonctionnent comme de grandes déferlantes de couleurs, masses compactes, liées entre elles par le trait. Cela vaut autant pour les paysages caractéristiques de la Norvège natale de Munch que pour les sujets qui y sont inclus. Ainsi, je pense à "Paysage à la maison rouge" , à "Danse sur le rivage",  ou encore à "Jeunes filles sur un pont" ... Quant à ses portraits, je n'en retiendrai que quelques uns comme "Autoportrait avec cigarette" (ci-dessus), "La femme en bleu" (ci-dessous) , "Matin" ou "Femme dans la véranda" et j'éliminerai sans vergogne toutes ces toiles de commandes figées, formelles  et superficielles qui clôturent le parcours d'exposition. C'est une vraie déception de sentir leur manque de profondeur.


Mais,  les lithographies  ont  également retenu mon attention. Elles ont attisé mon intérêt en ce qu'elles concernent essentiellement des représentations de la femme toute puissante, la plupart du temps vampirisante. Femme dont la chevelure tentaculaire habille, enserre, capture et emprisonne dans "La jalousie" ou dans "Vampire" (ci-dessous). Femme dont la chevelure se répand et enrobe comme celle des différentes "Madone" (ci-dessus). Femme aux yeux immensément ouverts, témoins de la relation tourmentée de Munch au monde féminin. Vision personnelle s'il en est, car d'autres lectures moins restrictives étaient tout aussi possibles face à ces univers de la tourmente.


L'univers de Munch tourné vers les thèmes récurrents de la maladie et des affres de l'amour avec "L'enfant malade" (ci-dessus), "La jalousie", "Le désespoir", "La séparation" (ci-dessus), "Les solitaires" a su aussi témoigner du plaisir d'aimer avec "Le baiser" (ci-dessus) et des âges de la vie.
Une découverte qui fera sans doute son chemin, et une nouveauté aussi semblerait-il puisque la majorité des oeuvres exposées en ce moment provient de collections particulières et non des musées norvégiens.
Quel que soit le lieu où elles sont conservées, elles ont en commun, pour un grand nombre d'entre elles, d'avoir subi "le traitement de cheval" (sic) que leur réservait Munch : à savoir une exposition à tous les vents,  dont elles devaient ressortir victorieuses donc indemnes.
Un site intéressant sur Edvard Munch qui disait : "Je veux représenter des êtres qui respirent, sentent, aiment et souffrent."

mardi 27 avril 2010

Cristallisation littéraire

Avec "Cristallisation secrète", Yôko Ogawa nous fait entrer dans un univers de l'étrange, celui des disparitions, qui confine au malaise. Ce qui est étrange, ce n'est pas la conservation artistique des infimes et ordinaires témoignages de nos vies par la mère sculpteur de la narratrice, mais l'abolition à la fois progressive et inexorable de ce qui constitue la vie... La mémoire de ce qu'on a vu, entendu, senti, aimé, touché... La mémoire de la mémoire, la mémoire du souvenir.
Peu à peu l'étau se resserre, et les poches de réserves, les poches de souvenirs s'épuisent tragiquement. Objets, espaces, lieux, animaux, personnes et corps  sont gommés méthodiquement, irrémédiablement traqués par "la milice", sans qu'aucun sursaut  puisse  parvenir à les sauver, sans qu'aucun semblant de conscience puisse être maintenu. On oublie : c'est tout, et c'est irréversible.
Ce n'est pas l'oubli bénéfique qui permet de passer d'une tranche de vie à une autre, c'est un oubli involontaire, glaçant et pesant sur lequel chaque fois se referme une chappe de plomb scellée à jamais. Un oubli mortiphère contre lequel lutter n'a de prix que lorsqu'on tente de protéger, donc de sauver, les passeurs de mémoire, ceux dont la constitution psychique résiste naturellement, ceux qui, quoiqu'ils fassent, ne peuvent oublier, ceux qui gardent en eux et autour d'eux, ceux dont la singularité cérébrale les met sans arrêt en danger. C'est ainsi que la narratrice tendra la main à son éditeur, celui qui ne peut oublier, pour l'enfermer dans une poche de silence, dans un lieu du souvenir et de la mémoire, dans un espace matriciel où se mouvoir demande  toute la délicatesse du geste et du coeur. C'est ainsi qu'elle essaie de sauver une part - même infime - du monde qui est en train de disparaître. C'est pour la même raison, qu'elle écrit son ultime livre, celui-là même qui lui permet pour la dernière fois de fixer les mots d'une disparition dans la disparition, celle de la voix d'une jeune secrétaire confrontée elle-même à la disparition des caractères de sa machine à écrire donc de l'écriture. Les mots s'échappent...
Parabole admirable de la pensée tuée dans l'oeuf, qui pose dans une continuité déconcertante et désarmante le problème de la résistance à l'oppression et à l'oubli. Une exploration des extrêmes poussée elle-même jusqu'au paroxisme. Une exploration oppressive qui coupe le souffle et le sens, qui cherche vainement des voies de sorties inexorablement sans issue, qui est étranglée, étouffée, brisée par le malaise incontournable qui s'installe.
Encore un livre d'une rare économie de mots, d'une belle justesse dans l'expression, dont l'écriture maîtrisée, nous propose entre fiction et réalité, une réflexion plus large face à toutes les formes d'oppression qu'elles soient isolées, conjointes, croisées ou juxtaposées.
Une lecture à faire en acceptant de se vider peu à peu, de se perdre un peu - bien que provisoirement - comme les personnages de ce toujours étrange récit qui trace en nous sa voie énigmatique et qui pourrait lui aussi être tenté de disparaître afin de renforcer nos inquiétudes et  nos perplexités.

dimanche 25 avril 2010

Sur les traces de Turner

Rien à voir avec le regard critique du spécialiste passant au scalpel la production picturale d'un artiste en regard de ses maîtres. Ce ne sera jamais que le ressenti du néophyte ravivé cependant par les souvenirs lointains d'une découverte adolescente : une certaine peinture  du XIX ème siècle, celle de Turner.
Le souvenir d'un univers parfois aveuglant où les limites estompées sont repoussées nous faisant entrer dans un monde de l'ici et de l'ailleurs à la fois, un monde décalé où nulle place ne semble assez stable pour poser sûrement le pied ou le regard. Le sentiment d'un léger tangage dans lequel l'oeil nous accompagne en tous sens en se baladant sur la toile dans une grande émotion sensorielle. Et si le monde, c'était cela : cette subtile dissolution des contours?

Bien entendu, les impressions ci-dessus ne concernent pour la plupart qu'une infime partie de l'oeuvre de Turner, celle de ses dernières années. Années de la rupture avec l'avant, celles qui lui permirent de laisser littéralement exploser son talent de coloriste, doublé d'un sens de la composition et de la luminosité novateur en son temps.
Quelques toiles seulement ont marqué mon parcours sélectif de l'exposition du Grand Palais : "Regulus" , 1828-1837, qui finirait par vous rendre aussi aveugle tant l'intensité lumineuse en une trouée magnifique tranche littéralement la toile en deux ; "Venise, vue du porche de la Salute",  1840, dont la confusion du ciel et de l'eau apaise comme la transparence du Grand Canal propice aux multiples reflets effilochés des embarcations vénitiennes ; "Paysage avec une rivière et une baie", 1845, pour ses délicats estampages ; "Soleil levant sur une baie", 1845, aux couleurs presque vives sur l'esquisse d'une ligne d'horizon de part et d'autre de laquelle ciel et sable se renvoient en écho les mêmes tonalités d'ocre pâle. Trois autres toiles ont encore retenu mon attention durablement : "Avalanche dans les Grisons", 1800, étonnamment moderne dans sa conception mouvementée et par sa texture déjà épaisse largement travaillée au couteau ainsi que "Tempête de neige", 1842, superbe envolée tourbillonnante articulée autour d'un centre instable et mouvant, et enfin "Naufrage", 1805, où la toile organisée sur plusieurs axes semble se mouvoir comme les flots furieux.
Et "ses peintres"? Ceux-là même que Turner a admirés, ceux qu'il a aimés, ceux qu'il a imités,  dit-on, ou plutôt détournés, souvent. Où sont-ils? Ils sont tous présents puisque c'est aussi autour d'eux que s'organise l'exposition, autour de cette mise en abyme entre "Turner et ses peintres". D'eux, je ne retiendrai que "La vierge au lapin blanc" si touchante de Titien, 1530, "Le moulin" si majestueux de Rembrandt, 1642,  la "Jetée de Yarmouth"  de Constable, 1827, et un paysage cendré de Gainsborough dont je n'ai noté ni le nom ni la date.

Que vous soyez fin limier et fin connaisseur des arts picturaux ou un simple amateur plus ou moins éclairé, voire pas du tout, qu'importe, car la découverte de la peinture s'adresse à tous ceux qui feront cette démarche très intime et très personnelle de pousser la porte et de se dire : "C'est aujourd'hui que j'y vais", que ce soit ou non la première fois. Et puis Turner, ne se représentera sans doute pas de si tôt sous nos latitudes...

Alors!

mercredi 21 avril 2010

Jeu de cache-cache



  Fin de la lecture du dernier livre de Paul Auster "Invisible", comme un dérapage en fin de parcours, alors que le démarrage assez lent, d'une histoire en apparence insignifiante et presque convenue, ne laissait guère présager qu'il se transformerait rapidement en un maelstrom surprenant dans lequel la fiction de la fiction, l'écriture de l'écriture, la littérature de la littérature créent une vertigineuse mise en abyme.


  On finirait presque par oublier, grâce aux ou à cause des différents angles d'attaque donc de points de vue, qui écrit quoi et pour qui, ou encore quels sont les tenants et les aboutissants de ce ou plutôt de ces récits complexes qui n'ont de cesse d'aller et venir, sans répit, en lieu et en temps.


  Une audacieuse construction littéraire qui, sans crier gare, vous emporte si vous voulez bien vous y prêter...

lundi 5 avril 2010

Un petit tour du côté de... "L'atelier"

Structurée comme « une tête bien faite », l’exposition consacrée à Lucian Freud restera comme un point fort dans les parcours artistiques que l’œil peut capturer.

On sort de « L’atelier » subjugué, sidéré, empoigné, bousculé à coups sûrs avec quelques repères personnels établis à partir de la gamme multiple de nos réactions.
Aussi feutrées soient-elles dans le contexte « mondain » de ces accrochages « populaires » (paradoxe de l’initié et de l’amateur), les réactions émotionnelles submergent le visiteur face à ces toiles compactes sur lesquelles la palette du peintre a œuvré pour le travail bien bordé de ses débuts (quoique cultivant déjà l’insolite) qui évoluera très vite vers des tableaux infiniment plus denses où les textures de plus en plus épaisses s’associent à toutes les nuances colorées de la chair « accidentée ». Passages furtifs des veinules dans les nacrés et les transparences, des cratères et des crevasses au creux de chaque pli, des imperfections et des rugosités de la peau palpables souvent plus que visibles pour chaque sujet. De presque lisse, Lucian Freud est devenu presque matiériste.

Après avoir passé le sas d’entrée où « The Painter’s Room », 1944 - seul vrai clin d’œil surréaliste au divan de grand-père Sigmund – nous émergeons dans Intérieur-Extérieur, soit la première section.
Du centre de la pièce, l’œil fait lentement un tour circulaire pour évaluer l’ensemble, avec quelques ralentissements hésitants d’abord sur « Factory in North London », 1972, puis sur « Wasterground with Houses, Paddington », 1970-1972, en se demandant s’il a affaire à de la photographie ou à de la peinture ou à un agrégat des deux conjuguées, tant est stupéfiante l’acuité visuelle qui permet de donner ce rendu photographique.
Mais, la toile la plus étrange, et peut-être la plus haute, celle qui fait face à la porte, joue sur de nombreux plans bien nets, marqués par les horizontales des sofa, lit, radiateur, appui de fenêtre et les verticales des personnages assis presque impassibles sous le pinceau, des montants de fenêtres et des immeubles au loin. Comme dans un goulot d’étranglement, le regard partant du plan le plus large suit progressivement la ligne de fuite, soulignée par les lames du parquet, traversant les différents plans qui se profilent puis se poursuivent au-delà de la perspective à peine ouverte de la fenêtre. « Large Interior, Nothing Hill », 1998, se distingue non seulement par une extraordinaire profondeur de champ, mais aussi par la singularité du sujet rassemblant dans l’espace clos de l’atelier trois générations d’hommes couverts-découverts dans des fonctions attendues-inattendues.
Cette salle n’est pas sans offrir d’autres particularités comme l’excellent portrait un peu figé d’un père et de son fils « Two Irishmen in W11 », 1984-1985, le corps largement offert de David au pied duquel Eli étendu renverse la tête « David and Eli », 2003-2004, ou encore « Deux lutteurs japonais près d’un évier », 1984-1987, dont le sujet se focalise sur l’écoulement cristallin de l’eau dans un évier au-dessus duquel une petite esquisse de lutteurs tronqués est épinglée, sans parler de la sidérante redondance des chairs de Big Sue, étalées et débordantes, véritable électrochoc pictural que l’on dévore des yeux ou que l’on apprivoise à petits coups d’œil progressifs voire furtifs tant la masse peinte de « Benefits Supervisor Sleeping »,1995, crève la toile dans sa mollesse flasque et agressive. On se plante devant et on regarde cet amas paradoxal droit dans les yeux ou l’on n’ose approcher et l’on s’assoit, on observe de loin, discrètement, presqu’à la dérobée, puis on se lève doucement et l’on poursuit. On pourrait se prendre alors à fuir (mais le pire est à venir…) pour quelques respirations salutaires avec « Buttercups »,1968 joliment prosaïque et « Painter’s Garden », 2005-2006 particulièrement bien servi par une légère plongée trouée de lumière.

Dans la deuxième partie de ce parcours c’est Réflexion qui prend alors le relais et renvoie l’image décalée d’un peintre qui dit refuser la représentation, la  «ressemblance » en s’efforçant à se peindre lui-même comme s’il « était une autre personne » (sic). Jeu sur la semblance et le semblant, sur le faux-semblant, vue de l’esprit, tentative de s’extérioriser en évitant le nombrilisme et la surcharge narcissique, objet d’étude distant, Lucian Freud produit ainsi des autoportraits distanciés avec  «Reflection with Two Children (Self-Portrait) », 1965, impertinents et insolents avec « Reflection (Self-Portrait) », 1981-1982, plus authentiques avec «Reflection », 1981-1982 et « Self-Portrait, Reflection », 2002. Mais ce serait sans compter avec le très emblématique « Painter Working, Reflection », 1993, où le maître régnant sur l’atelier, auquel il est enchaîné et enchaîne ses modèles, se détache armé du couteau et de la palette, véritable figure du « labor » artistique, imposant et dérisoire.

Débouchant sur la troisième salle intitulée Reprises seule une eau-forte « After Constable’s Elm », 2003, bien qu’un peu foncée, attirera vraiment le regard.

C’est enfin Comme la chair qui clôture l’ensemble avec une débauche de « bidoche » effrayante et dérangeante (elle l’était déjà dès la première salle) pour tous les tableaux représentant Big Sue écrasée sur un plancher dans « Evening in the Studio », 1993 ou encore affalée dans un fauteuil dans « Sleeping by the Lion Carpet », 1995-1996. Cette chair au volume démesuré ne peut laisser indifférent et malgré le ressenti immédiat traversé par les termes : réussite, ratage, excès, outrance, surréalisme, surdimensionné, sur-hyperbolique… on se dit que le peintre a saisi quelque chose d’essentiel, la réalité de la chair, toutes les variations infinies du grain qui donnent une qualité bien particulière à ces toiles de l’horreur assumée. Lucian Freud obsessionnel dit que « la peinture, c’est la personne. » Il semblerait avoir réalisé en partie son pari avec Big Sue dont il ne fait pas de la « belle peinture » et pour laquelle il évite la « délicatesse des touches. »
Heureusement, dans le même espace mais à l’exact opposé, la stature imposante de « Leigh under the Skylight », 1994 mise en valeur par la contre-plongée, dans une posture étonnamment féminine, permet de renouer le lien avec une série d’autres œuvres dont la plus extravagante et la plus véritablement vraie dans son invraisemblance reste « Sunny Morning, Eight Legs », 1997, proximité émouvante de la bête et de l’homme, du probable et de l’improbable, près de « Pluto and the Bateman Sisters », 1996 et de « Naked Portrait with Red Chair », 1999.

C’était, sur la pointe des pieds, un petit tour du côté de Lucian Freud qui laisse dans l’expectative comme semble l’être « Girl in Attic Doorway », 1995, regardant le monde de sa lucarne « mi-figue, mi-raisin ».