vendredi 31 août 2007

Néolithique

Photographie de mhaleph : Pierre à cupule et signes énigmatiques


Un jour de juillet il y a quelques années, je me suis retrouvée presque par hasard sur un chantier de fouilles près de Thonon-les-Bains en Haute Savoie. Je séjournais dans la région et j’avais appris par le bouche à oreille que le site serait visible un soir par semaine en fin d’après-midi pour satisfaire la curiosité des néophytes, lesquels, pour certains d’entre eux, s’autorisaient à envahir les lieux avec sans gêne à n’importe quel moment de la journée, gênant ainsi le travail des archéologues.
Pour l’essentiel, le site était une vaste nécropole datée de – 4000 à – 3000 avant J-C. Ni le terrain défoncé, ni les tombes ouvertes, ni celles à ouvrir et à fouiller n'étaient très impressionnants – encore des vestiges, se dit-on –, mais ce qui l’était en revanche, c’était de ressentir une proximité si lointaine avec ces hommes et ces femmes qui ressurgissaient alors qu’on avait oublié leur existence. Soudain, ils étaient là. Malgré le peu de sciences que l’on possède en ce domaine, on veut les voir, établir le contact, connaître leur histoire, savoir ce qu’ils ont à nous dire depuis le fond de leur âge. L’impatience nous guette, nous recherchons l’anecdote et nous en sommes finalement réduits à des hypothèses construites à partir de pas grand-chose. Ce texte ne sera pas savant et je ne rapporterai pas fidèlement tous les propos d’intérêt du spécialiste, car pour plus ample information il suffit de consulter dans «
Le Monde » les archives du 27 juillet 04 qui titre : « Caveaux de famille au néolithique ». Je tente simplement d’écrire ce que j’ai vu et pensé au moment où je me trouvais sur les lieux, les pieds dans la poussière ocre sous le soleil encore cuisant malgré l’heure tardive.
Un terrain de fouille bouleversé n’a rien de très attractif vu de loin. Mais, ensuite, c’est le détail, tous les détails qui font sa différence avec le champ voisin labouré dans lequel personne n’a jamais rien trouvé. Ici, un arc de pierres polies autour d’une tombe comme pour la protéger. De quoi ? On ne sait. Là, la sépulture de la femme aux neuf cents perles qui reposait dans son coffre de pierre – du schiste feuilleté – avec son nouveau né, près du carré des enfants. Plus loin le caveau d’un couple dont d’aucuns ont imaginé l’histoire en fonction de leurs fantasmes. Rituel : sacrifice de la femme suivant l’homme dans la mort. Tragique : des Roméo et Juliette du néolithique. Prosaïque : un empoisonnement aux champignons. On ne sait. Plus loin encore, une fosse à ciel ouvert, éventrée au pic et au levier par des pilleurs de tombes, dans laquelle rien ne fut trouvé, pas même un squelette. Là-bas, les emplacements des caveaux aux coffres de bois aujourd’hui disparus, mais dont on détermine l’emplacement grâce aux galets qui les calaient. Dans un chemin annexe, alignées par les soins des fouilleurs, les dalles de fermeture. Des corps enfin, ou ce qu’il en reste, repliés sur eux-mêmes, seuls ou accompagnés par deux, par trois, par quatre, par cinq, par six… Des ossements soigneusement rangés, parfois effondrés sous l’effet de l’entassement ou du prélèvement de quelque os mystérieusement disparu. Pour quel usage ? On ne sait. On suppose, seulement.
J’ai regardé la campagne environnante, aujourd’hui un plateau érodé par les cultures, entouré de champs, de prairies et de petits bois, qui devait être – il y a si longtemps – un ensemble doucement vallonné. J’ai fait abstraction de ce qui m’entourait et j’ai commencé à déambuler mentalement. J’ai pensé aux objets trouvés dans les tombes. Peu de choses à vrai dire. Des perles, principalement de lignite, des fragments de poteries et un coquillage méditerranéen inclus dans une parure. Ce coquillage insolite et incongru aux pieds des montagnes permettait toutes les dérives. Je me demandais comment il avait pu arriver jusque là, aussi loin de la côte méditerranéenne, à une époque où l’on ne devait pas se déplacer au-delà d’un périmètre de plus de cinquante kilomètres au cours d’une vie. Mais de colportage en colportage, peut-être avait-il mis deux ou trois siècles avant d’échouer dans cette région comme le fit remarquer le spécialiste. J’avais ma réponse. Enfin, ce n’était encore qu’une hypothèse.
Eux sont passés. A présent c’est nous qui passons, jour après jour. Je ne sais quel est le lien entre eux et nous sinon la place éphémère de chacun. Une poussière microscopique, à l’échelle de l’univers. A l’échelle de ce que nous pensons être aujourd’hui l’univers. Enigmatique.

Pensées croisées

Dame en son "pensement"



"La Dame aux pensées", Musée du Louvre, peinture italienne du XV°s

Aussi désagréable que cela puisse être, il n'est pas inutile de se rappeler que le pire peut survenir sous toutes ses formes, n’importe où, n’importe quand et qu’il n’épargne personne, absolument personne.
Quels que soient les défauts de nos méandres cérébrospinaux, ils ont ensemble le bon ou le mauvais goût (à chacun d’apprécier selon ses critères ou de nuancer) de nous rappeler que l’inconscience quotidienne, que la marginalité dans le bonheur ne sont pas au goût du jour. Ce sont des utopies, des vues de l’esprit rassurantes, des conforts mal venus.
Aujourd’hui (comme autrefois) tout le monde paie en tout lieu et en tout temps car l’Histoire et ses Evénements croisent l’histoire de tous et de chacun, car les Faits de Société frappent à la croisée des vies individuelles. Rien n’est personnel, tout est collectif. Tout se fonde sur des interférences sans arrêt renouvelées prenant en écharpe le Tout et les Parties. Rien n’est dissociable. Tout est indissociable.


Photo de mhaleph

mercredi 29 août 2007

Digression

Pour reprendre un mot de Daniel, les carnets souples, grands ou petits, sont devenus peu à peu avec le temps passant "l'inutilitaire indispensable", comme une seconde peau dans laquelle on peut se glisser comme on glisse un carnet dans une besace ou une poche.
En tête de la plupart des carnets, on peut lire : "In case of loss, please return to : ...", puis : "As a reward : ..." Mise à part la référence à la récompense qui me paraît tout à fait cocasse, je me disais que je serais bien embarrassée si je perdais l'un de ces carnets et qu'un(e) inconnu(e) me le retourne à l'adresse que j'aurais due écrire dans la rubrique réservée à cet effet.
Embarrassée, car je n'aimerais pas avoir été lue sans le vouloir. Qui, en effet, ne serait pas tenté d'ouvrir et de lire un carnet oublié sur un banc, dans un bistro, dans un parc, dans un musée ou dans tout autre lieu? Qui résisterait vraiment à cette tentation offerte d'entrer dans un autre univers sans y être invité?
Vous êtes-vous déjà posé la question? Je m'étais toujours interrogée sur l'indiscrétion des autres. Existait-elle réellement et jusqu'à quel point? Aujourd'hui, je me renvoie la question à moi-même, pour la première fois, me semble-t-il. Je n'arrive pas à y répondre nettement. Et vous?


Photo de mhaleph

mardi 28 août 2007

Pour le goût

Embrassée en un seul coup d'oeil
Huile sur toile, 2.80x1.40, 1646

"La cuisine de anges" de Murillo, Louvre

 
"La cuisine de anges" fut exécutée par Murillo en 1646 pour les franciscains du monastère San Francisco El Grande de Séville. Le sujet est celui d'une vision "culinaire" (les anges préparant avec célérité le repas de la communauté) du Frère Dirraquio surpris (en lévitation dans sa cellule) par le Prieur.
Réussir à voir cette grande toile en une seule fois n'est pas chose aisée. Il faut prendre suffisamment de recul, et une fois fait, s'asseoir sur la banquette réservée à cet effet pour prendre le temps de détailler la composition inhabituelle. Trois parties juxtaposées ou imbriquées dont une est particulièrement réaliste (à l'exception des anges) dans la représentation de la cuisine. "Ne peignons que ce que nous avons vu, ou que nous pourrions voir", dit Goya. Beaucoup de précisions et de détails donc, sur ces natures mortes insérées dans la toile, sur le gigantisme de cet univers presque "gargantuesque", sur la force tranquille de ces corps célestes à l'opposé des représentations éthérées généralement réservées à cette catégorie de personnages. Rien de connu jusque là, car ces mélanges volontaires sont exceptionnels dans la peinture du XVII°siècle.
Si je me suis attardée devant cette oeuvre de grand format, c'est que non seulement j'ai toujours eu un faible pour Murillo, mais encore pour cette cuisine particulière dont les anges centraux et latéraux ornent mon propre espace culinaire depuis des années...

Photo de mhaleph

Coup de crayon

La dicrète section des Arts Graphiques du Musée du Louvre, présente jusqu'à mi-octobre, un ensemble de dessins. Ce sont, pour la plupart, des oeuvres de Goya et de Murillo.
Le dessin reste la base même de l'art chez Goya (1746-1828), sans dessin point de peinture. Et de fait, il ne peindra et ne sera reconnu que tard. Le ton de l'artiste est surtout grinçant autour de sujets tels que la peur, l'infirmité, la vieillesse, la folie, le mal. Le tracé ferme et souple à la fois, évoque avec justesse et esprit d'à-propos :
- la fébrilité mouvementée d'un homme qui tel un feu follet se démène pour échapper aux flammes qui le cernent avec "¡Fuego! ¡Fuego!"
- le ventre énorme, les membres courts et tordus de "L'enfant difforme" encore nourrisson et de "Lo mismo" plus âgé, de dos, voûté, lourdement appuyé sur un bâton
- la pitoyable silhouette d'une petite vieille tendue vers l'avant dans l'espoir fou d'une alliance dernière dans "¡Que disparate pensar aun al matrimonio!"
- "Le Fou par scrupules" se balançant tête en bas sans raison
- "La mauvaise femme" maltraitante oeuvrant pour le service du Diable en lui sacrifiant des enfants nouveaux nés.
Dans la pénombre des trois petites salles où sont exposés les différents dessins, l'atmosphère est un peu lourde et oppressante au milieu de ce musée des horreurs, à peine compensées par deux ou trois croquis aux notes plus gaies et par la tête d'ange qui fait l'affiche de l'exposition.
Murillo (1617-1682), lui, reste sur des sujets célestes plus en demi-teinte qui mettent une note apaisante à ces visions de cauchemar.
Vous pouvez retrouver ce travail graphique dans la base Joconde du Ministère de la Culture : http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm

"Mala muger" de Francisco José de Goya y Lucientes, Louvre
Photo de mhaleph

samedi 25 août 2007

Cinématographe

Grand écran


Vu récemment un film d'animation (genre cinématographique dont je suis habituellement peu friande) avec plaisir. Il s'agit de "Persepolis" de Marjane Satrapi et de Vincent Paronnaud. Marjane Satrapi vient de la BD où elle a publié antérieurement les quatre tomes de Persepolis. Avec ce film, elle nous propose une histoire à la fois autobiographique, politique et didactique pleine d'une grande authenticité. Le vécu vraiment présent est mis en évidence par un tracé net et sobre en noir et blanc. Il est porté par l'humour, la lucidité, la causticité et la sensibilité. Le point de vue narratif et la voix off sont ceux de Marji petite fille, adolescente, jeune fille et jeune femme, puisqu'elle nous fait traverser son histoire et celle de son pays d'origine l'Iran depuis la fin du régime du Shah jusqu'à l'avènement de la République islamique à la fin des années 70 et au-delà dans les années 80. Histoires imbriquées dans lesquelles un ensemble de personnages (les parents proches et lointains, la grand-mère, les ami(e)s iraniens et européens, les opposants, les défenseurs du régime, les gardiens de la Révolution islamique...), aux traits bien trempés dans le bien comme dans le mal, se croisent, se rencontrent, se fuient, se perdent de vue, se retrouvent, malmenés par les tourmentes personnelles et celles de l'histoire. Si ce n'est déjà fait, allez voir ce film qui ne peut vous laisser indifférents et découvrez Marjane Satrapi dessinatrice. A recommander chaleureusement.

Photo de mhaleph

mardi 21 août 2007

Au sujet de Frida Kahlo (3)

Le retour de Frida

Una tajeta : Frida

La Casa Azul

Photo de mhaleph

Mi-juillet, arrivait du Mexique la carte ci-dessus envoyée par Laura Beatriz avec le commentaire suivant : « C’est avec un immense plaisir que je t’envoie cette photo de notre chère Frida. Depuis qu’on a annoncé l’expo pour les cent ans de Frida je pense à toi. Nous sommes allés au Palacio de las Bellas Artes de Mexico où nous avons pu admirer des tableaux que nous n’avions jamais vus, en particulier un qui s’appelle : « Frida à seize ans en robe de terciopelo ». Je l’avais pris en photo, mais le surveillant du musée m’a demandé de l’effacer alors que je voulais te l’envoyer… » A défaut, j’ai reçu cette très belle photographie que je n’avais dans aucun de mes documents personnels. Ce sont 354 tableaux, dessins et lettres confondus qui ont été exposés au Musée des Beaux Arts en hommage national à celle que tout le monde ignorait il y a trente ans encore.
Laura Beatriz est aussi allée à la Casa Azul où elle a pu « admirer » pour reprendre ses propres mots un premier lot de dessins, photos, lettres, carnets, objets et vêtements personnels de Frida et Diego, choisis parmi plus 25000 documents divers exhumés de trente malles, de cartons, de commodes et meubles divers entreposés et piégés dans le silence d’une des salles de bains murée de la Maison Bleue de Coyoacán à Mexico depuis cinquante ans. Autant dire que la maison devenue musée depuis 1958 a fait peau neuve. Les immenses « Trésors de la Maison Bleue » devant demeurer sur place selon les dernières volontés de Diego Rivera, ils feront encore l’objet de nombreuses expositions dans le futur.
« Frida Kahlo, 1907-2007 : hommage national ». Jusqu'au 19 août au Palacio de Bellas Artes : Alameda Central, Col. Centro, Mexico.
« Trésors de la maison bleue, Frida et Diego ».Du 6 juillet au 30 septembre au Musée Frida Kahlo, Londres 247, Col. del Carmen, Coyoacán, Mexico. (Casa Azul)
Je tiens à rajouter un lien vers un article de John Berger découvert récemment car c’est le seul que j’ai trouvé mentionnant à juste titre, le film de Paul Leduc : « Frida : naturaleza vida » réalisé en 1983 et le livre de Le Clézio : « Diego et Frida » (folio 2746) que je mentionnais dans un texte écrit en 2004. (Voir texte précédent : La vie de Frida…)

http://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/BERGER/10783

Au sujet de Frida Kahlo (2)

"Frida : naturaleza vida" de Paul Leduc, 1983

"L'étreinte amoureuse de l'univers"

Photo de mhaleph


Le texte qui suit a été écrit il y a trois ans et me semblait devoir réapparaître au moment où le Mexique rend hommage à Frida Kahlo en cette année 2007.La vie de Frida n’est qu’une longue plaie. Sa vie n’est qu’une longue plainte déguisée aux couleurs du soleil. Elle nous bouleverse et nous invite à revisiter son œuvre flambante neuve de couleurs mais aussi de cruautés et d’intolérables douleurs qui, comme autant de tortures intimes, ont définitivement ouvert le partage collectif de sa souffrance par toile interposée.
La souffrance de Frida Kahlo est éclatante, pleine de dignité, éclaboussée de sang et d’histoire. Toute tristesse bue, toute colère contenue, toutes douleurs confondues le Mexique de Frida au goût de salpêtre et d’eau saumâtre, au goût d’indianité et de lait caillé est aussi un personnage central car le peintre n’oubliera jamais les seins amples et opulents de sa nourrice indienne, la Materia Prima qui l’a vue naître, aimer et souffrir, celle qui l’a nourrie et à laquelle elle veut se fondre et s’incorporer. A la fois femme et mère de Diego, c’est dans « L’étreinte amoureuse de l’univers » qu’elle traduit le mieux cette tendance à l’apparente confusion qui n’est pourtant que la plus grande justesse et la plus grande maîtrise de sa complexité identitaire.
Le film réalisé par Juliet Taymor pêche sans doute par excès d’esthétisme suranné et exotique banalisant la souffrance perpétuelle de Frida et exaltant de manière romantique les révolutions personnelles et politiques. Pourtant, malgré ce mirage de vie narrée comme un conte auréolé de lumière et de couleurs, ce film ne peut pas nous laisser indifférents et touche en nous ce qui peut encore s’émouvoir pour la vie et pour la lutte incessante contre le mal, l’exploitation, la routine, les conventions et les histoires d’amour bien cadrées.
"Diego et Frida ", dans un partenariat houleux et complexe accomplissent sous nos yeux la parabole de leurs vies, que JMG.Le Clézio dans un livre du même nom ( Folio n° 2746) analyse avec prudence, doigté et justesse pour nous faire entrer dans un univers des mythes et des réalités enchevêtrées, entremêlées, dont chacun pourra tirer un fil à sa convenance pour avoir « son » idée de la vie d’autrui dans un contexte donné et particulièrement circonstancié.
Mais, n’oublions pas que le premier film consacré à l’artiste intitulé « Frida : naturaleza vida » fut réalisé en 1983 par Paul Leduc avec une grande justesse dans le propos. Lui, n’a jamais perdu de vue que Frida souffrait en permanence et que c’est cette souffrance perpétuelle qui la poussait à peindre. Leduc évite avec bonheur les envolées esthétisantes et n’oublie pas de mettre en scène les actes quotidiens et excessifs des protagonistes ravagés de passion et de délire. Un film plus juste sans doute.
Il y a quelques années, lorsque j’ai découvert la peinture étrange de Frida Kahlo, et son journal de croquis, pastels et textes, personne ne s’y intéressait vraiment. Lorsque je l’évoquais, on me regardait le plus souvent avec étonnement et incrédulité comme si j’avais énoncé la plus belle des énormités.
La spontanéité de Salma Hayek aura eu l’avantage d’ouvrir le monde artistique de Frida Kahlo et de Diego Rivera sans que ce soit ressenti comme une provocation personnelle et/ou politique. L’Amérique, que Frida détestait tant, nous aura finalement rendu service en faisant de ce peintre d’exception un exemple de courage et d’endurance. Elle est ainsi devenue remarquable.

Au sujet de Frida Kahlo (1)

pIl me semblait d'actualité, alors que le Mexique rend hommage à Frida Kahlo, de mettre en ligne le texte qui suit écrit en 2004 à l’occasion d’une pièce "Viva la Frida Kahlo" jouée par Guadalupe Bocanegra. Aujourd’hui, trois ans après, un autre spectacle “Attention peinture fraîche” de Lope Velez a lieu au théâtre Le Méry. Je ne l’ai pas encore vu, mais cela ne saurait tarder. J’en reparlerai.

Depuis la sortie du film de Juliet Taymor, Frida Kahlo, devenue phénomène de mode, fait couler beaucoup d’encre.
Le festival qui lui était consacré en octobre 2004 vient de s’achever. Malheureusement, malgré toutes les tentatives de réanimation, sa peinture, la vraie, celle qui aurait pu nous rapprocher d’elle, était absente…
Bien entendu, de nombreux artistes impliqués ont tenté de faire revivre quelques instants par leur travail, à travers le théâtre ou l’image, cette femme au caractère bien trempé et sans doute excessif, engagée dans une lutte à mort contre le néant et l’inexistence.
Ainsi,
« Viva la Frida Kahlo », spectacle très confidentiel (malgré un succès de plusieurs années) présenté par Guadalupe Bocanegra dans une mise en scène de Enrique Pineda, ne pouvait guère laisser indifférent, même le profane. La proximité spatiale entre la scène et le public, dans une salle minuscule du théâtre de Nesle, créait d’amblée un lien étroit et très charnel avec l’artiste. Qu’ils le veuillent ou non, les spectateurs, même à leur corps défendant, étaient immédiatement projetés dans l’univers mental de Frida. La justesse de la voix, coquine, emportée, ironique, gouailleuse, passionnée, déchirée, altérée, modulait une heure durant un parcours singulier, souligné par l’ampleur théâtrale du geste, et par le regard souvent incisif comme le propos. Initiés et néophytes, en silence ou en murmures, ne pouvaient que réagir face à cette vie disloquée, à cet esprit et à ce corps en souffrance, sous l’artifice toujours présent et toujours trompeur du théâtre jouant de l’outrance et de la démesure.
Malgré quelques envolées joyeuses, mais finalement fragiles, indécises et éphémères, c’est bien un monologue souffrant et violemment narcissique qui reste en mémoire. C’est toujours et encore la douleur, qu’elle soit psychique ou physique, qui l’emporte implacablement.
Joué avec un brio parfois proche du dérapage, tant la verve et le geste se voulaient passionnément enjoués, ce texte pathétique ne pouvait qu’interpeller en priorité les « initiés » de Frida, ceux qui la connaissent et la suivent depuis longtemps parce qu’ils ont été touchés de longue date par cette vie particulière, peinte et hurlée, bien avant sa médiatisation mercantile.
Mais l’intérêt réel ou frelaté qu’on lui porte aujourd’hui, ne changera rien, car Frida aussi proche soit-elle, gardera sa vie et ses secrets par devers elle. Et c’est bien ainsi. Personne jamais, ne saurait ressentir la vraie vie vécue et rêvée de Frida Kahlo qui jour après jour criait qu’elle voulait sortir de son corps, se projeter de l’avant et vivre enfin. C’est encore la douleur toujours fulgurante qui prend le dessus. La douleur déchirante de son corps mutilé, mais aussi la douleur insupportable et suffocante, presque insurmontable de ne pas vivre, de ne pas pouvoir vivre…
Prisonnière de sa souffrance Frida a peint pour exorciser. Sa peinture est la seule chose tangible qui demeure d’elle aujourd’hui. Le reste, même reconstitué fidèlement à partir de ses lettres et de son journal, n’est jamais que fiction. Qu’imaginaire.

Diálogo interior con Frida Kahlo de Yasumasa Morimura, Japon
Photo de mhaleph

jeudi 16 août 2007

Du Musée Cluny

Marguerite, devenue Sainte, peinte à l'huile sur bois par un incertain Maître de Pacully à la fin du XV°siècle, n'a presque plus de secret pour moi.
En visite à Cluny, c'est Stéphanie qui a attiré mon attention au sujet de ce tableau. C'est le dragon bien sûr, éventré de surcroît, d'où semblait surgir Marguerite qui nous a interrogées plus que la Sainte elle-même.
Renseignements pris, cette Sainte Marine d'Antioche (Marguerite pour les latins christianisés), martyrisée comme il se doit de mille épouvantables façons par un amoureux éconduit, ...un drôle d'Olybrius qui la désirait..., fut dit-on avalée toute entière par un dragon diabolique furieux de la résistance de la belle. Mais, en bonne thaumaturge, elle finit par sortir du corps hideux du monstre en l'éventrant de sa petite croix de nouvelle convertie, pour retrouver la lumière et protéger les parturientes.
Le nom actuel de "dragon" viendrait du grec "drakôn" au sens de monstre ou de nom propre dans la personne d'un sévère législateur, du latin "draco" au sens chrétien de démon et de diable et aurait une filiation avec un verbe d'origine indo-européenne soit "derkesthai" qui signifierait fixer ou scruter. L'idée qui demeure est celle d'un animal mythique et fabuleux au regard inquisiteur et dangereux.
Parent de la Lycastre méditerranéenne, de la Coulobre de Dordogne ou de Provence, de la Vouivre ou Guivre poitevine, de la Tarasque du Rhônes près de Tarascon, du Graoully de Metz, du Basilic de Vienne, de la Gargouille de Rouen, du Cocatrix et de bien d'autres monstres encore d'ici ou d'ailleurs, le Dragon, sorte de serpent démesuré, se caractérise donc comme ses cousins par des attributs multiples et dangereux (ailes, griffes, yeux perçants, dorsale gigantesque, écailles, pointes piquantes, queue massue, bouche enflammée, double langue fourchue...) et des pouvoirs magiques le plus souvent maléfiques.
Alors, à bon entendeur... si vous le rencontrez au coin d'un texte ou d'une image!...

Musée de Cluny, Paris, Ste Marguerite
Photo de mhaleph

mardi 14 août 2007

A mort l'infini

Le grand néant

Vu à Beaubourg, l'exposition de Philippe Mayaud, lauréat et gagnant du prix Marcel Duchamp, tournant essentiellement autour de la dualité vie-mort. Le sujet pas fondamentalement sans intérêt, mais pas forcément capital non plus, est traité de manière inégale. " La critique est aisée, mais l'art est difficile", a dit un jour je ne sais plus qui...
Cependant, on retient avec le sourire les représentations du fantasme de dévoration amoureuse dans des réalisations pâtissières précieuses, sophistiquées, au glaçage rose bonbon ou pastel et chocolat, tout crémé de légèreté blanchâtre. Parties du corps ( langue, doigts, coeur, poumon, clitoris, vulve, lèvres, pénis, gland, bouton de sein...) mis en scène pour une incorporation maniérée et acceptable (artistiquement correcte?) ne visant point à heurter les sensibilités urbaines (très tendance?) bien loin des représentations tragiques de Bunuel ou de L'Empire des sens. Aucune violence apparente dans cet érotisme "glacé" et pourtant... Sur le même mode de l'irréalité fantastique, on retient encore des machines d'amour ailées et masquées dont les discours monocordes et juxtaposés se mêlent sans fin diffusés par les mêmes bouches souriantes et figées.

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On regarde ensuite avec lassitude les blanches machines de guerre et les blancs cimetières militaires miniatures à perte d'étagères. Banalisation du mal par le blanc de l'absence. Annulation des démarches d'agression par le vide du blanc.

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Plus loin, enfin, tout au fond, une insolite installation : un tombeau de marbre (où ce qui y ressemble) sur pied, gravé en lettres dorées du titre de l'exposition, soit : "A mort l'infini". A chaque extrémité, des lentilles permettent d'observer (assis) l'infini s'étendant et se contractant indéfiniment. L'occasion de se reposer l'esprit et de le laisser filer sans rien penser. Le rappel humoristique et comestible de cet univers interstellaire (comme un clin d'oeil), se fait par le truchement de "Cheddar, Mortadella, Cosmo" dans lequel l'infini s'adapte à l'élasticité suggérée du sandwich encadré et accroché au mur au-dessus du catafalque.


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Si par hasard, vous désirez vous rassurer sur votre incapacité à être pleinement en phase et sur votre mauvaise volonté à produire quelques paroles de réception cohérentes de cette oeuvre singulière, point de panique! L'artiste le fera fort bien pour vous en vous donnant les clefs d'accès à sa production artistique, dans le sas d'entrée où vous pourrez le voir et l'entendre (en collant l'oreille au haut-parleur) dans une vidéo dans laquelle il explique sa démarche qu'il emballe d'un joli papier de soie et qu'il agrémente d'une faveur. L'enveloppe du discours vous aidera sans doute à améliorer votre perception personnelle et à la diffuser autour de vous dans une savante maîtrise!...

Photos de mhaleph

vendredi 10 août 2007

Parodie?

Evian, Palais Lumière


Un moment d'hésitation. Une note d'incrédulité. Point alors, un certain trouble. Collusion entre affiche de propagande ancienne, ô combien datée, et affiche publicitaire? Improbable. On ne sait plus. On doute un instant. On s'étonne encore. On crie à l'anachronisme. La logique perturbée résiste...

Mais la légende, à l'x près peut-être, calme les esprits.

Photos de mhaleph

samedi 4 août 2007

Effet de perspective

Hôtel de Cluny, Jeu d'échecs, Vitrail



Dans une pièce étroite, au fond d'une alcôve retirée, entre deux croisées ouvertes sur une ville paisible, deux jeunes gens endimanchés s'exercent au jeu amoureux, ce qui consiste à déplacer des pièces d'échecs sur un damier pour vaincre les résistances (sans doute feintes) de leur partenaire. "Comment s'y prendre?" pense la Dame émue qui réfléchit de la main droite et se rassure de la main gauche.

Photo de mhaleph

jeudi 2 août 2007

" Les Messagers" d'Annette Messager

Passant devant l'illustre bateau-usine de Beaubourg, j'entrai pour renouveler (au prix de l'or! plus cher qu'au Louvre!) ma carte égarée. Une fois fait, j'allai parcourir l'exposition "Les Messagers" d'Annette Messager qui se termine le 17 septembre. Cette rétrospective m'a laissée dubitative, mais elle a l'avantage d'exister et de présenter ses principales productions depuis les années 70.


Le plan ci-dessus ( agrandir pour le lire correctement) représente l'espace des installations accompagné d'un code couleur qui résume mes réactions "primaires".

Rose = m'a vraiment plu. Les taches noires, que l'on apercevait par des fentes horizontales à différentes hauteurs dans un mur blanc, allaient et venaient en flottant suspendues à rien et m'ont rendue très légère. Casino, qui a déjà beaucoup fait parler de lui, et dont le dégorgement progressif, sonore, ondulant et perpétuel de la matrice sanglante de soie rouge éclairée de l'intérieur m'a fascinée un long moment.


Mauve = m'a plu. Les lignes de la main jouant du motif oriental sur un mur de fond tapissé de phrases répétitives manuscrites apparentées à l'art de l'éphémère, de la trace relative amenée à disparaître. Mes trophées rappelaient fortement l'art du tatouage dessin/texte sur des mains ouvertes et des parties du corps ( des images de "La femme tatouée" de Yoichi Takabayashi me brouillaient les yeux). Sentences et proverbes m'ont laissée mi-figue mi-raisin mais m'ont finalement fait rire et réfléchir au temps passé à broder "le soir à la chandelle " toutes ses paroles dérisoires du pouvoir. Exposer le machisme sans en parler pour le désamorcer.


Vert = m'a assez ou moyennement plu. Articulés-Désarticulés était présenté dans un vaste entrepôt plein de cadavres de peluches animales dans lequel je suis restée longtemps hébétée à regarder un vache (folle?) traînée continuellement sur le périmètre de ce qui pouvait peut-être représenter une zone de contagion, un espace de quarantaine. J'ai ressenti un flottement et je ne sais pas si j'ai aimé cela. Je ne crois pas. Mes caoutchoucs formes noires et découpées dans une matière souple proche de la peau rappelaient à la fois le théâtre d'ombres de Bali et les masques vénitiens. Histoires de robes, avec une note griffonnée sur leur histoire (origine, destination, fin), étaient enfermées dans des vitrines-cercueils tristement accrochées à un mur. Le Tapeur, sorte de pantin à ressort suspendu, allait taper méthodiquement sur la paroie de verre externe du bâtiment ( donc visible du dehors) comme s'il voulait éperdument s'échapper (recherche de la sortie?). La ballade des pendus, assemblage de marionnettes, de doudous, de robots, le tout plus ou moins désarticulé voire carrément en morceaux, tournait inlassablement sur un rail ovale suspendu au plafond haut. Ne manquait plus que les paroles de Villon dont j'ai regretté l'absence:


" Frères humains qui après nous vivez


N'ayez les coeurs contre nous endurciz,


Car, ce pitié de nous pauvres avez,


Dieu en aura plus tost de vous merciz.


Vous nous voyez ci, attachés cinq, six


Quant de la chair, que trop avons nourrie,


Elle est piéca devorée et pourrie,


Et nous les os, devenons cendre et pouldre.


De nostre mal personne ne s'en rie:


Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!"


Orange = M'a passablement plu. Gonflés-Dégonflés dont j'attendais beaucoup, comme par exemple de beaux développements de volumes, n'arrêtaient malheureusement pas de retomber pesamment avec des bruits d'asthmatiques ou de soufflés affaissés. Dépendance-Indépendance ou la forêt initiatique des contes toute de fils de laine noire enchevêtrés et de lettres de tissu cousues ensemble à la verticale pour former toutes sortes de mots clefs (maux?) pendait lamentablement. Les piques, au bout desquelles des photographies encadrées de noir mettaient à l'index des portraits, des paysages, des événements divers, formaient un rempart.


Bleu = Ne m'a pas plu. L'attaque des crayons de couleur, Gants-Têtes et Jeu de Deuil m'ont apparu comme particulièrement agressifs et morbides.


Jaune = Ne m'a pas du tout plu voire m'a révulsée. En observation a provoqué en moi un brin d'ironie et je me suis dit que j'aurais pu contribuer à l'édification de l'art en apportant mon sac poubelle et en l'y déposant à cet endroit. Les visiteurs appelés à participer et devenus actants auraient rendu l'installation vraiment subversive en la modifiant sans arrêt par l'ajout circonstancié de leurs déchets quotidiens! Les pensionnaires poussiéreux et déplumés arrivaient à grand peine à (sup)porter leur petite laine tricotée maison. Ils affichaient de pauvres petits corps d'oiseaux suppliciés, figés dans une vague odeur de cadavre. Enfin c'est CE que j'ai senti.


Non coloré = Tout le reste, qui ne m'a pas forcément laissée indifférente. J'ai d'ailleurs pas mal insisté, en me cassant le cou, pour déchiffrer, par de minuscules ouvertures horizontales taillées dans les murs, les signes sibyllins se cachant dans La chambre secrète de la Collectionneuse pour former des messages codés. J'ai laissé tomber, car j'avais l'impression de regarder par le trou de la serrure sans obtenir satisfaction.


Prière de ne pas oublier le fils de Gepetto dans "La Ballade de Pinocchio" installée dans le grand hall d'entrée hors exposition pour semble-t-il résumer tout ce qui allait être vu et nous préparer à ces montagnes russes des réactions extrêmes entre vif intérêt et répulsion psycho-organique. Ce qui adoucit toutefois cet art singulier et parfois excessif c'est l'ensemble disparate des peluches dans lesquelles on bute à chaque coin de salle comme sur des douceurs en ligne, en tas, en ordre, en vrac, en noir , en blanc, en couleur...


Même le néophyte peut comprendre qu'Annette Messager se débat dans un drôle de monde peuplé de monstres qu'elle apprivoise un à un en bricolant, coupant, assemblant, collant, cousant, tricotant, brodant, articulant, désarticulant toutes sortes de supports qui "l'expriment" mais aussi en faisant intervenir la technologie avancée pour rendre plus visibles encore ses obsessions ou ses délivrances. Il n'y a pas vraiment combat entre tous ces procédés d'écriture artistique, mais plutôt une coopération continue. Si Annette Messager a commencé à oeuvrer dans les années 70 dans le domaine des travaux de dame et travaux d'aiguille, bricoleuse infatigable, elle a en quelques vingt ou trente ans évolué vers des installations plus complexes faisant appel au savoir faire de techniciens spécialisés pour porter plus avant son travail. L'expérience de l'atelier de couture (voile, traversins, parties de corps ou d'organes, marionnettes...) et celle de l'atelier de mécanique et d'informatique (mouvements, déplacements de sujets...) sont alors conjoints.


Malgré toutes mes réactions contradictoires, j'aime bien toutefois une partie du travail de cette artiste et je ne demeure pas sans voix devant le reste. Je ne me lancerai cependant pas dans une théorisation pédante. Pour en savoir plus évidemment, mieux vaut lire quelques interviews d'Annette Messager que vous trouverez facilement sur le web. Quel regard a-t-elle sur ce qu'elle fait?
Voici ce qu'elle dit: " Pour moi, l'art doit questionner et déranger. Il propose une interprétation du réel qui doit interpeller." L'objectif est-il atteint?

Photo de mhaleph