dimanche 24 octobre 2010

Littérature asiatique


     Un retour à la littérature asiatique ces derniers temps, m'a amenée à poursuivre mes découvertes au sujet de Akira Yoshimura et Yoko Ogawa pour le Japon, de Yu Hua pour la Chine.

      C'est par ce dernier que je commencerai, car l'aspect truculent et jubilatoire qui traverse "Brothers" se retrouve parfois encore dans "La Chine en dix mots". Un excellent "docu-perso" dans lequel Yu Hua tente, non pas une définition de son pays, mais une esquisse soutenue de ce qu'il fut et de ce qu'il est au travers d'une multitude d'anecdotes servant de points de départ à des analyses critiques.
     Entre le sourire et le rire provoqués par des situations cocasses, les sueurs froides et les douloureuses tensions engendrées par les situations tragiques et extrêmes, le lecteur est "ballotté" dans l'histoire des cinquante dernières années de ce monde si longtemps clos et si vite ouvert. L'auteur essaie de donner quelques clefs, et le lecteur peut à son gré utiliser son trousseau pour ouvrir les portes verrouillées des différents chapitres intitulés : Peuple, Leader, Lecture, Ecriture, Lu Xun, Disparités, Révolution, Gens de peu, Faux, Embrouille, sans oublier l'Avant propos et la Postface ainsi que les nombreuses et indispensables Notes des traducteurs, comme il l'entend.
     De son enfance au seuil de ses cinquante ans, à l'épreuve de ces années, Yu Hua s'est construit comme homme et comme écrivain en contournant les écueils de l'angélisme révolutionnaire ou de l'attitude renégate pour revisiter la Chine lucidement de l'intérieur, avec clarté et précision, et apporter un autre regard sur ce pays triomphant mais non exempt de plaies et de bosses, de manigances et de corruptions.
     Un livre que je recommande chaudement à tous ceux qui gardent, de près ou de loin, un oeil sur l'Empire du milieu, et à tous ceux qui néophytes voudraient en savoir un peu plus...

     Akira Yoshimura, auteur de "La Jeune Fille suppliciée sur une étagère" est revenu dans mon champ de lecture avec "Le grand tremblement de terre du Kantô".
     Si le premier texte joue sur l'étrangeté de la situation narrée par la Jeune Fille morte, le second s'appuie sur un événement réel, soit le tremblement de terre de magnitude 7,9 qui eut lieu le 1er septembre 1923 à 11h58 dans la région de Tokyo et Yokohama et qui fit 200 000 victimes. Ce livre n'est donc pas un roman, mais plutôt le "récit-docu" d'une catastrophe avérée.
     Akira Yoshimura a, d'une part, retranscrit les faits comme un écrivain dans les parties narratives qui relatent le contexte sismologique - avec sa querelle d'experts - et politique,  le séisme lui-même et la terreur qu'il provoqua, le cortège sans fin des conséquences atroces se traduisant par des incendies prodigieux et meurtriers, des troubles sociaux d'une ampleur inégalée et des assassinats dûs à la complète désorganisation des infrastructures et aux rumeurs les plus insensées concernant les travailleurs coréens. Viennent ensuite la reconstruction laborieuse et le trauma consécutif.
     L'auteur, d'autre part, n'a pas omis d'apporter sur le vif à ses lecteurs atterrés, saturés d'horreurs, tous les témoignages des survivants dont il se fait l'écho pour corroborer ses développements accablants.
     Enfin, viennent ponctuer ces récits innommables les comptes rendus très détaillés et fastidieux du nombre d'êtres humains, de trains, de bâtiments, de ponts, de routes, de lieux... anéantis,  répertoriés avec un soin maniaque dans de longues, très longues listes et d'interminables tableaux chiffrés. L'accablement vous prend soudain, jusqu'à la nausée, lorsque vous évaluez la somme infinie des informations méticuleusement enregistrées avec cette obsession récurrente du moindre détail. Peut-être pour se souvenir enfin et prévenir à l'avenir la légèreté meurtrière des hommes qui, oublieux des enseignements du grand tremblement de terre de 1716, omirent d'éteindre les feux de cuisine et d'abandonner leurs possessions matérielles (d'où la propagation instantanée des brasiers).
     Malgré les exténuantes longueurs relatives à l'épuisant chiffrage des pertes humaines et matérielles, je recommanderai aussi ce livre qui reste un point fort, un élément culminant.
    
Pour finir, j'évoquerai Yoko Ogawa et "Les tendres plaintes" comme un retour à l'apaisement où la calligraphie et le clavecin se mêlent et se démêlent au fond d'une sombre forêt initiatique lieu de tous les possibles. Des personnages en marge pas tout à fait présents, pas tout à fait absents, un temps en suspension et l'impression toujours vive d'évoluer dans un univers du ralenti où le moindre silence, le moindre mot, le moindre regard, le moindre geste prend un sens en lui-même dans une histoire presqu'absente. Mais ce n'est encore qu'illusion puisque la trame de ce récit du minima réside dans le déroulement de faits finalement ordinaires.
     L'arrière-goût paradoxal d'une saveur atone, d'un inachèvement bien bouclé où les personnages poursuivent leurs parcours personnels liés aux incidents et aux aléas de leur vie.
     A lire si vous recherchez une forme éphémère de ralentissement et d'apaisement peut-être.

Photos de mhaleph

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