mercredi 13 août 2008

Siri Hustvedt

A l'occasion de la lecture du dernier roman de Siri Hustvedt , j'ai eu envie de joindre, à la fin de cet article, un petit texte relatant ma découverte de cette écrivaine en 2005.


Je ne résumerai pas longuement "Elégie pour un Américain" car de nombreux articles et la quatrième de couverture le font fort bien, et je me contenterai d'exprimer le plus prosaïquement possible , donc le plus sincèrement possible sans doute, la manière dont j'ai abordé et lu ce roman.


Je me suis assez rapidement coulée dans cette narration complexe aux multiples entrées entrecroisées qui ne laissent jamais le lecteur en repos et le poussent dans ses retranchements de liseuse paresse. La conjonction permanente des histoires de Lars Davidsen (père du narrateur) mort récemment, d'Inga et de Sonia (soeur et nièce du narrateur) veuve et orpheline de fraîche date, de Miranda et d'Eglantine, alias Eggy, (une jamaïcaine et sa fillette locataires du narrateur), d'Erik Davidsen (le narrateur : fils, frère, oncle, propriétaire des précédents et psychanalyste de surcroît) nous met en présence des différents personnages morts ou vivants de manière dynamique par le truchement de divers procédés littéraires comme la correspondance, le journal intime, l'introspection narrative, la narration dans la narration, la réflexion... Une habile construction qui nous promène puis nous entraîne d'un univers à un autre, qui fait aussi que ces mondes s'entrecroisent, se chevauchent, dépendent les uns des autres. Une subtile construction qui relie entre elles ces histoires singulières et plurielles en permettant d'explorer le passé en lien avec le vivant présent et l'avenir supposé (mais sans insister toutefois compte tenu des zones d'ombre qui affleurent inévitablement...) par le biais du phénomène complexe de la mémoire et de l'imagination.


Une belle écriture bien posée, dense, évocatrice qui donne évidemment tout son intérêt à cette complexité narrative suggérant sans arrêt au lecteur de participer à la construction du sens et de la lecture au lieu de la subir passivement dans un état d'attente léthargique.


Ces vies en apparence si simples (mais en apparence seulement) ont toutes au moins un point commun : elles se révèlent plus "obscures" et plus "énigmatiques" que prévu. Ce sont tous les "accidents" de parcours, toutes les "plaies" vives ou cachées, tous les "moments éphémères" de bonheur dans la vie de chacun qui portent le récit dans lequel l'histoire ancienne et contemporaine se mêlent aux histoires dites personnelles. Rien ne peut finalement être dissocié comme le démontre magistralement la fin de ce roman écrite comme une pensée continue non cloisonnée.




Quelques citations extraites de "Elégie pour un Américain"
- " La tête inclinée sur la page, je savais qu'il écrivait contre le temps." p.99
- " La mémoire ne prodigue ses cadeaux que si quelque chose dans le présent la stimule. Ce n'est pas un entrepôt d'images et de mots fixes, mais un réseau associatif dynamique dans le cerveau..." p. 112
- " Le problème, c'est que nous sommes tous aveugles[...] Nous ne faisons pas l'expérience du monde. Nous faisons l'expérience de ce que nous attendons du monde. Cette attente est très très compliquée..." p.177
- " Si quelque chose avait changé, c'est qu'elle savait qu'elle pouvait survivre à la force de sa propre émotion." p.302
- " Nous avons regardé ensemble par la fenêtre les toits et les nuages, et je me suis dit : N'oublie jamais ce bonheur. N'oublie jamais parce qu'il aura bientôt disparu." p.333
- " Je sais que ce qu'on dit est souvent moins important que le ton de la voix qui prononce les mots." p.380

Vous trouverez ici :
- un résumé et une critique (entre autres!) professionnelle de "Elégie pour un Américain" chez Actes Sud
- un entretien de Siri Hustvedt et Paul Auster sur la création littéraire conjointe, sur leurs modes de travail et sur leurs productions littéraires... Cette vidéo fait d'ailleurs écho à l'excellent livre de Gérard de Cortanze "Le New York de Paul Auster" dans lequel le mode de travail de ces deux auteurs est abordé.


Texte écrit en février 2005 : à la découverte de Siri Hustvedt



Au mois de janvier, j’ai lu et découvert Siri Hustvedt. Je connaissais son nom, je savais qu’elle écrivait, mais je n’avais encore jamais ouvert un de ses livres. J’aurais dû le faire plus tôt. Mais, je me suis bien rattrapée puisque j’ai lu quatre de ses livres publiés chez Actes Sud en deux mois. J’ai commencé par le dernier en date « Tout ce que j’aimais » et j’ai fini par le premier "Les yeux bandés " en passant par "Yonder " et "L’envoûtement de Lily Dahl ". Me reste encore à lire " Les mystères du rectangle".

"Yonder " reste sans doute celui que j’ai le plus aimé. Ce n’est pas un roman, contrairement aux trois autres, mais un ensemble de textes réflexifs regroupés sous le nom du premier qui ouvre le recueil. Les thèmes abordés traitent essentiellement des relations de l’auteur – mais plus largement de nos relations – à la littérature, à la peinture, à la sexualité et à l’érotisme, à l’argent. Chacun de ces textes suscite un vif intérêt. Loin des dogmatismes, Siri Hustvedt ose dire simplement et subtilement ce qu’elle pense et ce qui la traverse. La simplicité et la complexité peuvent paraître paradoxales, cependant, c’est bien de cela dont il s’agit : l’alliance bien dosée, le mélange sans surcharge qui arrivent à énoncer la diversité. Face à une situation, une conversation, un livre, un tableau, elle réagit. Elle ose se mettre mentalement à nue. Elle prend le temps de dire ce qu’elle en pense sans mensonge loin des dogmatismes et des références supposées exigées. Elle s'efforce honnêtement et sincèrement de partir de "son regard".Elle ose parler de la complexité inhérente aux relations humaines, à la vie, à la mort, à l’univers littéraire et artistique, à l’environnement qui nous cerne.

Puis, elle tourne la page.

Dans le texte intitulé "Yonder ", l’auteur remonte à son métissage linguistique et territorial et poursuit une réflexion dense et personnelle sur l’art de lire et d’écrire : comment et pourquoi ?
Les trois romans, eux, ne manquent pas d’intérêt bien que très différents les uns des autres :
"Les yeux bandés " retrace en quatre chapitres quatre rencontres décisives et étranges dans la vie de Iris Vegan. Talonnée par sa misère d’étudiante pauvre et par d’épouvantables maux de tête chroniques, Iris sera poussée à réagir et à s’interroger au cours de ces quatre étapes clefs de sa vie. Elle devra se construire sur une ligne de fuite parfois inquiétante dont elle arrivera cependant à toujours maîtriser l’équilibre in extremis sans se perdre et pour ne pas se perdre, justement.
"L’envoûtement de Lily Dahl " est une surprise traitée à la manière de Hopper ou de Steinbeck sur l’Amérique profonde dans laquelle Lily, apprentie comédienne, occupe ses jours et ses nuits et apprend la vie, entre l’Idéal-Café lieu de son job alimentaire, « Le songe d’une nuit d’été » qu’elle répète très professionnellement au théâtre aidée par sa vieille amie Mabel, l’étrange peinture de l’énigmatique Edouard Shapiro, parmi les habitants ordinaires mais parfois aussi atypiques d’un petit bled de campagne.
"Tout ce que j’aimais " prend en écharpe le parcours d’une poignée de personnages artistes et écrivains, sur le trajet accidenté de leur vie jalonnée de passions, de bonheurs, de drames et de mûrissements dans une Amérique mutante. Léo, le narrateur, à l’instar des autres personnages, y développe une réflexion sur le rapport de l’être humain à son corps, à l’espace, à l’autre, à la création artistique et littéraire.

Des thèmes récurrents donc, dont on ne se lasse cependant pas tant la manière de les intégrer à la trame du récit est différente d’un livre à l’autre. Des clins d’œil savants à tout un ensemble de références qui nourrissent le texte en lui donnant plus de densité. Voilà pour l’essentiel.




Photos de mhaleph

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le travail de Siri Hustvedt méritait bien un article et des renvois sur d'autres liens. Pour ma part, ses deux derniers romans ont une place importante dans ma vision globale de la littérature contemporaine d'outre atlantique. C'est donc avec plaisir que j'ai lu cette page à son sujet.