dimanche 23 mars 2008

La marche de Mina

Aussitôt acheté, aussitôt lu. "La marche de Mina" n'ira donc pas rejoindre la pile des livres en attente. Encore une fois, Yôko Ogawa part d'une situation simple pour en faire une histoire baroque. Une jeune veuve peu fortunée qui doit suivre une formation professionnelle complémentaire pour se perfectionner dans son domaine, celui de la couture, est obligée par manque de moyens de se séparer momentanément de sa fille pendant un an. C'est ainsi que Tomoko, la narratrice âgée de douze ans, prend le train en gare de Okayama le 15 mars 1972 pour se rendre à Ashiya dans la région de Kobe où sa tante confortablement mariée au directeur d'une usine d'eau minérale, le Fressy, l'attend. Dès son arrivée, Tomoko est submergée par la galerie de portraits qui se profile dans le hall d'entrée de la splendide maison de style hispanique qui l'accueille.
Grand-mère Rosa à demi impotente; l'oncle à demi-occidental dont elle a eu le loisir d'apprécier le charme et l'élégance au cours du trajet entre la gare et la maison; la tante, soeur de sa mère, très silencieuse et effacée; Mina grande lectrice, sa cousine asthmatique, souriante et posée; M.Kobayashi le jardinier dont le travail essentiel est de veiller au bien-être de Pochiko une hippopotame naine ramenée du Liberia par feu le grand-père et Mme Yoneda la gouvernante énergique de la maison et la seule amie de Rosa la juive allemande déracinée arrivée au Japon en 1916.
Les jours vont s'écouler sans heurts et la parente pauvre absorbée par cette famille bienveillante ne se sentira jamais en marge dans ce quotidien doré où tous développent des personnalités bien tranchées qui finissent toujours par s'affirmer au cours des différentes circonstances de la vie.
Tomoko observe avec discrétion le mimétisme et la quasi gémellité entre grand-mère Rosa, rongée par le souvenir de sa soeur jumelle et de sa famille mortes dans les camps nazis, et Mme Yoneda, l'efficace gouvernante dont l'univers exclusif de la maison retient toute l'attention. A leurs moments de détente, les deux vieilles dames, vivent le monde dans une forme de symbiose, dans une grande intimité et dans une complicité presque parfaite (mêmes attitudes, mêmes réactions face aux événements, mêmes accessoires comme un chapeau de paille, même langage mutant mélange d'allemand et de japonais qu'elles seules sont à même de comprendre, même sens des priorités, mêmes rêves de siestes partagées...).
Tomoko est aussi sous le charme de l'oncle et de son cousin Ryuishi étudiant en Suisse. Pleins de séduction, d'élégance, de souplesse, de beauté et d'un grand charisme, les deux hommes traversent l'univers de leur hôte comme des comètes éblouissantes.
Tomoko est aussi pleine de compassion silencieuse pour sa tante prise au piège d'une prison dorée dans laquelle elle s'étiole et s'anéantit dans l'alcool, la cigarette et la solitude. Cependant, loin d'être complètement inexistante, et malgré son grand silence permanent et son effacement perpétuel, elle est capable de nourrir une passion dévorante pour la découverte "des coquilles" dans tout support écrit et de s'animer en cette seule occasion : la traque de l'erreur orthographique. Une sorte d'obsession qui tourne en boucle et qui ne la laisse jamais en repos.
Tomoko ne manque pas non plus de découvrir le dévouement sans borne de M.Kobayashi, jardinier et homme à tout faire de la famille, qui peut aussi bien entretenir l'ancien parc zoologique Fressy, nourrir et nettoyer Pochiko, mener quotidiennement Mina à l'école à dos de Pochiko pour qu'elle ne se fatigue pas, accompagner les enfants en promenade, faire toutes les courses nécessaires, transporter Mina à l'hôpital en cas d'urgence lorsque son père volage est absent, parfois pendant des jours...
Tomoko est également très intriguée dès le début par l'étrange animal de compagnie de Mina, la facétieuse Pochiko, l'hippopotame libérienne naine, âme errante et candide du jardin qui participe à sa manière très personnelle à tous les actes de la vie quotidienne le jour, et qui se réserve la nuit pour vivre sa vie.
Enfin Tomoko est fascinée par la très sage Mina, cette fillette étrange aux boîtes d'allumettes plein les poches, qui lit
Kawabata, Tchékov, Mansfield, Kafka, la littérature Arthurienne et la vie des étoiles comme des contes de fées. Mina écrit des récits inspirés des illustrations collées sur les boîtes d'allumettes, qui peuplent son univers, dans les boîtes elles-mêmes. Des histoires, aux minuscules caractères, cachées dans les boîtes d'allumettes à l'intérieur desquelles elles sont écrites. Boîtes elles-mêmes cachées dans d'autres boîtes contenues elles aussi dans des boîtes plus grandes entassées sous son lit. Le lit de Mina, dont la santé fragile en fait l'objet de toutes les attentions et de tous les soins, est une véritable poudrière. Une étincelle, et tous les mots enfouis sont libérés.
C'est donc dans cet univers presque isolé du monde, sur les flancs des monts Rokko, que Tomoko est introduite par Mina l'asthmatique dans "la salle de bains de lumière" pour y passer de longues heures. Apaisées par la faible lumière orangée, bercées par le grincement ténu des rotatives à ampoules, l'écolière et la collégienne se livrent leurs secrets, lisent les histoires aux caractères minuscules contenues dans les boîtes d'allumettes, partagent un intimité qui n'appartient qu'à elles, reprennent des forces pour affronter leur vie émaillée de tous les incidents petits ou grands qui la fondent...
Aucun ténébreux mystère dans ce roman initiatique qui se laisse lire simplement, sans heurts et sans exaspération. Une petite symphonie sur l'interaction des mondes... dans laquelle "la pièce", peut-être la métaphore d'un lieu des origines, où se dénouent toutes les tensions revient à intervalles réguliers ainsi que l'attraction du "double" que l'on rencontre dans d'autres écrits de Yôko Ogawa.

3 commentaires:

jj a dit…

message vu mais lu seulement début et fin car j'ai craint en savoir trop sur l'histoire avant de la commencer..... je commande le livre.

mhaleph a dit…

à Michèle

Rien n'est dévoilé car il y a peu à dévoiler. Ce sont les complexes relations interpersonnelles de cette "étange" famille et les liens que Tomoko tisse avec elle qui vont finalement ouvrir l'univers de cette collégienne et étendre aussi ses champs d'investigation vers "l'étranger" si énigmatique vu du Japon de son enfance.

jj a dit…

Je viens de finir ce livre que j'ai beaucoup apprécié..... la notion du double qui est évidente à travers Grand mère Rosa, sa soeur jumelle et mme Yoneda est tout aussi présente, bien que moins évidente, dans tous les personnages..... J'ai aimé la pudeur du récit dans l'évocation , tout au long du roman, de l'éflorescence pubertaire et l'éveil aux émois sentimentaux de Tomoko.....
Yogo Ogawa, au delà du récit chaleureux de cette vie ritualisée japonnaise toute enrobée de convivialité laisse cependant deviner la violence de la souffrance interne et intériorisée : asthme grave de Mina, alcoolisme et comportements obsessionnels compulsifs de la mère,isolement affectif des 2 vieilles femmes malgré leur amitié.....
à bientôt
michèle