samedi 15 septembre 2007

Sicko


Le dernier film de Michaël Moore est sorti. Un cadeau sans doute empoisonné, car si le documentariste fidèle à lui-même dénonce les injustices flagrantes du système de santé américain privé fondé sur le seul profit et tournant résolument le dos aux assurés et patients, il tombe dans l’idéalisme le plus forcené quant aux systèmes de protection sociale canadien, français, britannique et cubain qui sont pourtant loin d’être la panacée universelle ! Moore fait là dans le simplisme le plus absolu.
Michaël Moore fait du Michaël Moore. Il fait le coup de poing (salutaire certes) pour dénoncer le système le plus immoral qui soit. Un système qui n’hésite pas à instaurer une discrimination en fonction des antécédents médicaux pour tous les postulants à l’assurance. Compte tenu du nombre de crises cardiaques, de cancers, de diabètes, de problèmes de cholestérol et autres joyeusetés qui peuplent le quotidien de nos civilisations modernes, on comprend de suite que peu de gens ont des chances d’être assurés… à part ceux qui n’attrapent que des rhumes ou des grippes bénignes…
C’est donc le premier point scandaleux dénoncé. En effet être assuré, c’est l’être la plupart du temps en prévision des situations graves qui nécessitent des frais médicaux (hospitalisation, intervention chirurgicale, traitement…) si exorbitants qu’ils sont inassummables pour le commun des mortels.
Deuxième point scandaleux bien dénoncé également, ce sont tous les épluchages draconiens effectués sur les dossiers de tous ceux qui, déjà assurés, se mettent (allez savoir pourquoi !) à ne plus aller tout à fait bien et à réclamer des sous… pour se faire soigner. Un comble ! Pourquoi faudrait-il débourser pour tous ces jeanfoutres et léser les actionnaires ! Le monde à l’envers qui poussent les assurances à fouiller sans relâche pour débusquer l’indice (même le plus arbitraire) permettant de rompre le contrat et donc l’obligation de remboursement.
Pour dénoncer et apporter des témoignages individuels qui nous arrachent presque parfois des larmes tant les situations présentées sont inhumaines, absurdes et tragiques (Pathos touché à fond) Michaël Moore est bon. Très bon même. Il nous fait comprendre peu à peu sur quel manque généralisé d’éthique fondamentale repose le système de santé américain. Il pourrait s’intituler : «Marche ou crève ! »
En revanche, Michaël Moore gagnerait sans doute en crédibilité en usant de plus de finesse dans ses analyses des systèmes de protection sociale canadien, outre atlantiques et cubain. Sans vouloir jeter la pierre à notre bon vieux et beau système hérité du Front Populaire en 36, ou à celui de la Grande-Bretagne issu de l’après-guerre en 48, ou encore à celui de Cuba redevable à la Révolution de 61, sans parler de celui du Canada, je ne puis m’empêcher de penser qu’il y a soit une pointe de naïveté soit une pointe de malhonnêteté inconsciente à force de vouloir bien faire, à renvoyer dos à dos deux systèmes, l’un absolument machiavélique (et il l’est) et l’autre par trop idyllique. C’est sans doute, sans le vouloir, tromper un peu le citoyen américain que de lui faire croire que tout est « parfait et gratuit » ailleurs. Lorsque le système marche il marche bien, c’est vrai. Mais marche-t-il aussi bien qu’il en a l’air ? Que pensez du manque de places en crèches, du manque de personnel dans les hôpitaux, des soins pas toujours remboursés à la hauteur de ce qu’on attend, notamment les dents ! Un gouffre ! D’autre part, le merveilleux système médical cubain laisse rêveur… Certes ces insulaires-là ont une réputation d’excellence en matière de compétences, mais ensuite… les moyens mis à la disposition des praticiens pour secourir leurs patients restent disons précaires, voire inexistants… Michaël Moore nous montre sans doute le seul hôpital de pointe de La Havane qui soigne le Leader Maximo et où rien ne manque ou presque, et la pharmacie la mieux approvisionnée du pays… car les autres… Voyez la photo d’une pharmacie prise au centre de La Havane en 2002 en haut de l’article et concluez… Vous allez me dire qu’ils ont fait des progrès depuis. C’est possible ! Mais à ce point ! Cela dépasse les prévisions ! N’oubliez tout de même pas d’emporter des médocs et une trousse d’urgence de base si vous allez à Cuba : ça peut servir et c’est plus prudent. S’il vous reste quelques bricoles médicamenteuses au moment de partir beaucoup de cubains seront ravis de les récupérer gratis !
Ceci mis à part, chapeau bas tout de même à Michaël Moore pour son audace et sa ténacité à affoler les autorités américaines. Ce qui reste exemplaire dans son film, c’est la mise en évidence de la spéculation financière sur du vivant : les assurés, c’est la mise en relief de l’exploitation financière la plus éclatante qui soit puisqu’elle s’appuie sans vergogne sur la détresse et la misère humaine.
Autre point fort, les témoignages des administratifs et des praticiens ayant travaillé dans des compagnies d’assurances privées et n’ayant plus pu supporter le travail de bourreau et de tortionnaire qu’on leur imposait, malgré une grasse contrepartie financière. Leur conscience plus forte que leur appât du gain l’a emporté : c’est tout à leur honneur mais a posteriori pas sans dommages collatéraux. Comment vivre en effet en sachant que vous aidez des gens à remplir des dossiers de demande d’assurance inutiles qui ne seront jamais acceptés, en sachant que vous devez coûte que coûte débusquer le grain de sable qui fera capoter un contrat, en sachant que vous devez systématiquement rejeter les dossiers qui entraîneraient les remboursements les plus lourds, en sachant enfin tout simplement que vous êtes devenu un assassin grassement payé pour tuer (en douceur ?) et de surcroît plébiscité par votre employeur ? Un cauchemar même pas climatisé celui-ci !
Enfin, dernier point important, le témoignage des américains de Paris rencontrés par Moore, qui insistent tout de même bien sur le grand écart qui existe réellement en matière de démarche et de protection sociale entre le pays de cocagne américain et la vieille Europe aussi imparfaite soit-elle. Deux mentalités, deux éthiques qui s’opposent et s’affrontent.
Malgré bien des défauts, le film de Michaël Moore reste une plateforme de dénonciation efficace, propre sans doute à bouleverser et à faire bouger les citoyens américains exploités et écrasés par et dans leur propre système. C’est aussi un avertissement en direction des citoyens européens notamment, qui ne sauraient être trop vigilants pour éviter qu’un jour, nous n’en arrivions à ces extrémités scandaleuses.
Conclusion : allez le voir et jugez vous –même !


Photo de mhaleph

1 commentaire:

Anonyme a dit…

je partage ton avis à 100%.
j'ai vu le film à Berkeley (CA); dans une salle vide ou presque, à croire que le sujet n'interesse pas trop les américains ...