mardi 16 août 2011

Rappel sur Aharon Appelfeld

"J'écris sans cesse sur des recoins de ma propre vie. J'ai quatre-vingt-six ans (c'est une longue vie…), ai écrit quarante livres. Chacun porte sur ma vie, certes, mais à partir d'un angle toujours différent. D'une zone bien spécifique de ma vie. Je ne cherche rien sur l'Histoire. Pour moi, écrire un nouveau livre veut dire que j'ai quelque chose de nouveau à dire, une chose que je n'avais pas vue avant."

En rangeant (plus ou moins) ma bibliothèque j'ai retrouvé trois livres d' Aharon Appelfeld que j'ai lus pratiquement en suivant. Depuis,  je n'ai pas réouvert un seul de ses livres mais je l'ai retrouvé comme écrivain témoignant de l'usage de l'hébreu en littérature dans le premier film de la trilogie de Nurith Aviv : D'une langue à l'autre, Langue sacrée langue parlée, Traduire  et comme héros (double fictif ?) dans Mensonges écrit par sa traductrice Valérie Zenatti.

Parcourant de nouveau rapidement Histoire d'une vie, Tsili et L'amour soudain j'ai jeté quelques notes dans un carnet qui m'a ensuite servi de support pour écrire trois petits articles sur ces trois titres. Pas les plus récents certes, mais un auteur ne s'apprécie pas nécessairement à sa dernière parution que je lirai sans doute mais à son heure, c'est à dire lorsque je serai vraiment tenter d'y plonger...

Histoire d'une vie

Une vie, celle d'Aharon Appelfeld, vue à travers les yeux de l’enfant devenu l’adulte qui évoque sa relation au passé, à l’écrit en regard de ce vécu lointain se rappelant encore à lui par des liens toujours férocement inscrits, aussi ténus soient-ils, dans sa mémoire parcellaire et dans sa chair. Imprévisibles ces liens souvent usés, parfois brisés et sectionnés par nécessité, se régénèrent pourtant et entraînent des réactions dans les situations les plus inattendues. Ils réactivent sans cesse des pans d’Histoire d’une vie et ne laissent jamais en repos celui qui les a vécus. L’écriture de cette autobiographie est simple et les chapitres courts. Ils ont la juste longueur pour s’imprimer efficacement dans la mémoire. Aharon Appelfeld précise au chapitre dix sept que son « écriture fut d’abord un claudiquement pénible» et qu’il ne se souvenait pas « des noms de personnes ni de lieux, mais d’une obscurité, de bruits, de gestes.» Il dit aussi qu’il comprit plus tard « que ces matières premières étaient la moelle de la littérature et que, partant de là, il était possible de donner forme à une légende intime» malgré l’absence « de témoignage à offrir.» Les faits furent alors traités avec réalisme et poésie, avec inquiétude et nostalgie, avec crudité et tendresse. C’est ainsi que ce livre est construit sur des paradoxes émotionnels et ne peut en aucun cas se laisser lire avec un seul regard. Il mobilise en nous plusieurs énergies. Il nous oblige à multiplier nos approches. Il nous rend sensibles à de multiples ressentis. Il ouvre notre Pathos. Il le fait mûrir au cours de ce voyage dans le temps : avant, pendant et après la deuxième guerre mondiale, à travers les plaines d’Ukraine, aux limites extrêmes de l’Europe centrale et occidentale jusqu’en Palestine. Un livre à nous faire faire des pauses pour réfléchir et recréer mentalement ses multiples tableaux.

Tsili

Avec Tsili, Aharon Appelfeld trace le portrait d’une toute jeune fille, qui restera dans la marge de sa vie comme dans celle de la guerre durant les trois ou quatre ans d’errance et de survie brute qu’elle vivra dans les plaines d’Ukraine jusqu’à son arrivée en Palestine. Non ce n’est pas une redite, et ce court récit reprend transposée la propre histoire de son auteur, d’une écriture simple et émouvante. Dans cette « aventure» sensitive, tout se dit dans l’élémentaire et l’essentiel grâce à cette écriture du dépouillement. Pas de mots en trop. Juste ce qu’il faut. Une expérience de lecture qui touche à vif. Comme Tsili, Aharon Appelfeld « ne prévoyait pas beaucoup de mots, une poignée » pour conter son parcours singulier.

L'amour soudain

Un beau livre, une belle histoire, comme on en lit peu, entre un homme vieillissant et malade qui essaie d’écrire et qui se souvient, et une femme jeune encore qui l’écoute et lui apporte toute son attention. Ernest s’abîme de jour en jour dans l’écriture à l’approche de son échéance et rétablit progressivement les liens qui le rattachent malgré lui à son passé proche et lointain, très lointain lorsque l’enfance lui parle. Ecrire le dévore, et lorsqu’il « écrit une phrase, il aspire de toutes ses forces à lui donner la forme la plus aboutie». Iréna, embarrassée par le langage, « ne parle pas beaucoup », mais elle tend l’oreille, à « chaque mot, chaque expression », à tous les mots scrupuleusement choisis qui la transportent dans les différents univers jalonnant la vie d’Ernest : univers enchanté des Carpates où vivaient ses grands-parents, univers muet et laborieux de ses parents, univers gratifiant de l’étude qui révèle l’enfant féru de littérature et passionné de livres « ses meilleurs amis », univers militant à double tranchant, univers de la sensibilité retrouvée sans sensiblerie. Chacun trouve le chemin de l’autre « du plus profond de son être ». C’est de l’amour : c’est pur, c’est naïf, c’est vrai. L’amour soudain c’est celui qui vient au monde sans se presser. Un paradoxe, encore.

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